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UNE HUMANITÉ RADIOACTIVE

15 mai 2013

, par l’incongru


A la faveur d’une éclaircie, l’incongru se sentit d’humeur sylvestre ce matin-là et décida tout naturellement de dédier cette occurrence à la promenade méditative. Le fait de n’avoir jamais accordé que très peu d’attention aux caprices du ciel ne signifie pas pour autant que nous n’en subissions pas les assauts. Pour faire plus court, je trouve qu’il pleut beaucoup ces temps derniers et parfois même je me demande si tout ce qui tombe est vraiment de la pluie.

Ce fût donc aux portes de la capitale, sur un boqueteau détrempé, que je jetai mon dévolu dans l’espoir d’exhumer de cet affect quelques réponses aux angoisses existentielles persistantes et surtout avec le désir de n’y croiser âme qui vive. Mais, c’était sans compter sur les équilibristes du dimanche matin qui chevauchent la petite reine en épandant les effluves des marques d’assouplisseurs, au grand étonnement des éléments. Chaque passage d’une caravane de ventripotents aux couleurs rainbow vous remplit les narines de molécules, dont on soupçonne déjà les procédés de fabrication. Puis, vient la cohorte des hommes, un peu plus gros ceux-là, mais avec des chiens dont on ne sait lesquels aboient les plus forts et puis finalement qui est au bout de la laisse et qui aboie. Enfin, juste avant le déjeuner, le ballet des hélicoptères entre en scène qui emmènent les quelques béotiens nantis manger des fruits de mer en Bretagne sans le souci des embouteillages. Cet épisode champêtre peut varier à souhait mais offre toujours le spectacle d’une nature si effarouchée par tant de grondements que nul chant d’oiseaux ne s’en échappe plus guère. D’ores et déjà, la grande majorité des forêts ou autres poumons des villes se trouve systématiquement traversée, soit par une autoroute, soit par une nationale très fréquentée. Difficile alors pour la mésange charbonnière de faire entendre son gazouillis au sein de ce vacarme permanent, elle qui s’égosille dans le printemps d’un Paris désormais indifférent ou pire, résigné. Impossible presque de randonner sur les chemins à bicyclette sans risquer de prendre un seau de cailloux sur la tête, en provenance d’un camion trop chargé ou prenant un virage trop serré. Impossible non plus de ne pas ressentir l’angoisse de percuter l’un de ces enjoliveurs de pacotille, qui se détache régulièrement des roues de bagnoles et finit sa course dans les fossés comme une empreinte de la futilité de nos modes de vie. Impossible encore de poser un œil ébloui sur le moindre petit carré de folle avoine sans que le regard ne croise un de ces emballages de plastique ou d’aluminium, vestige d’on ne sait quelle soirée dédiée à la viande qui tourne, parfumée au chewing-gum mentholé et s’achevant sur la banquette arrière d’une de ces bagnoles customisées que l’on retrouvera le lendemain à la queue leu-leu, minables et pressées de se voir remplir le coffre de boîtes de raviolis au hutsul. La vie, quoi !

L’incongru aurait tant aimé qu’il en soit autrement, que le tableau ne soit pas aussi noir, mais il est un peu tard déjà et l’on ne se fait plus guère d’illusions sur le changement des comportements à court ou moyen terme. Certes, il y a encore peu de temps le poète, en quête de quelque allégorie ou friand de litotes imagées, se plaisait à détourner les éléments de notre environnement pour illustrer les épisodes de la vie et les comportements du genre humain. Comme on regrette de devoir dire de plus en plus souvent de certains de nos congénères : « Il est comme une poule qui a trouvé un couteau » ou « Il a l’air de revenir de Pontoise », vous avez certainement déjà entendu parler de bipèdes ayant la tête dans les nuages ou vivant sur un petit nuage. Et si l’on vous parle de bonheur sans nuage, cela vous rappelle sûrement quelque chose même de lointain. Non ? C’est donc que le nuage de lait dans le café matinal à défaut d’avoir pu y tremper la madeleine de Proust fût rapidement imbuvable. Enfin, ces images si réelles, quoiqu’un tantinet naïves, ont traversé les siècles sans souffrir de l’érosion du temps. Mais c’était sans compter sur deux révolutions industrielles qui obscurcirent le ciel et transformèrent le monde vivant en enfer suffocant, soudainement moins idyllique. Qui peut se prévaloir aujourd’hui d’avoir encore la tête dans les nuages sans prendre le risque d’y heurter un de ces milliers d’aéronefs circonvoluant dans un flot ininterrompu ?

Paradoxalement, pour ceux qui ont eu la sagesse de garder les pieds sur terre, l’angoisse montera encore d’un cran lorsque l’annonce de la chute de débris d’engins spatiaux sera jumelée avec le bulletin météo. Et si les anciens regardaient passer les nuages pour y décrypter les caprices du temps, les nouvelles générations regardent l’horizon avec défiance dans l’attente du prochain passage du nuage radioactif refusant obstinément de s’arrêter à nos frontières. En effet, dorénavant lever les yeux au ciel réveillera à tout jamais l’appréhension de tomber nez à nez avec l’un de ces amas de radionucléides qui tourbillonnent autour de la planète pour des milliers d’années, et ce malgré toutes les tentatives de réconfort et les mensonges éhontés de quelques scientifiques aussi corrompus que rompus à une rhétorique proportionnelle à leurs prébendes.

Au stade de nos connaissances dans ce domaine, il serait pourtant juste de se poser la question des raisons de cette avalanche de risques que nous faisons courir à l’environnement par le seul fait de notre intervention. Car même si les poussières radioactives ne sont rien d’autres que des éléments que l’on retrouve spontanément dans le sol et dans les airs, ce qui fait la différence c’est leur concentration et leur manipulation.

Si nous prenons le cas du radon, fameux gaz que l’on retrouve en grandes quantités à l’état naturel dans certaines régions de notre beau pays. Il est présent notamment dans des régions volcaniques comme le Massif Central depuis plus de 500 millions d’années et pour des milliards d’années encore, parfois même fossilisé un peu comme Giscard mais sans feu follet. Le problème c’est sa concentration, car dans sa folie mégalomane et pour éclairer ses cités des feux de joies ou de larmes, l’homme extrait de la croûte terrestre quelques métaux radioactifs qui lui permettent de se rapprocher de dieu, enfin le croit-il.

Tout d’abord, lorsque l’uranium ou le thorium sont extraits de la terre, les mines à ciel ouvert produisent en quelques années plus de radon qu’il s’en est dégagé en plusieurs millénaires. Puis, l’homme provoque artificiellement la fission de l’atome, phénomène qui, contrairement à la fusion thermonucléaire, n’existe pas à l’état naturel. Le bilan est consternant tant du point de vue de la conception, de l’exploitation ou du démantèlement, sans parler des conséquences du moindre accident ou attentat.

http://www.sortirdunucleaire.org/

Et tout ceux qui ont voulu nous prouver le bien fondé de la nucléarisation du monde se sont finalement perdus dans leurs propres nuages de contradictions ou se sont crashés lamentablement sans jamais réussir à élever le débat au dessus du moindre stratus.

Bien au delà des analyses purement spéculatives sur les conséquences des catastrophes nucléaires, nous sommes condamnés à constater l’extrême médiocrité de l’esprit humain et la rareté des clairvoyances nécessaires lorsqu’il s’agit d’œuvrer pour le bien-être de l’humanité. Sans cesse, les mêmes erreurs sont commises, les mêmes postures ostentatoires sont prises et chacun trouve refuge dans des raccourcis égoïstes ou des raisons d’état. Alors, élever le débat ne serait-ce qu’une fois au dessus des nuages avec le risque de tomber nez à nez avec l’avion Bling Bling de Sarkozy ou quelques résidus atomisés, avouez que ce serait dommage ? On comprend mieux en l’occurrence les atermoiements des uns et des autres à mettre le sujet sur la table. Alors, il s’invite de lui-même.

Le vendredi 11 mars 2011 à Sendai, il est environ 14h30 et rien ne semble devoir perturber l’effervescence qui règne au sein de cette ville de plus d’un million d’habitants. A cette époque de l’année, chacun n’a de cesse que de guetter la floraison des cerisiers. C’est la plus belle saison que les japonais appellent « Hanami » où des milliers d’amoureux se rassemblent sous les arbres pour s’offrir les mots les plus tendres. Des bouffées d’air tiède en provenance du continent chinois enivrent les narines de quelques vieux japonais en habit de certitude, heureux déjà de savourer les délices des premières chaleurs printanières, celles qui réchauffent les corps sans les embraser. Au loin, bien au delà de la sublime plage de Sendai souvent appelée la Santa Cruz du Japon, se dessinent sur l’eau les bustes arrogants des Ikemen qui fendent l’air sur leurs planches multicolores en attendant La Vague. Là, tout semble n’être qu’ordre et beauté, calme et volupté et en ce vendredi 11 mars 2011, les SMS qui coulent à flots signent la préparation aux rencontres du week-end. Le prélude à la fornication estivale annonce un été torride et riche en aventures. Au Japon, comme partout ailleurs, cette saison, si propice à l’exubérance des gamètes macrophages, pousse les téléphonikeurs à la frénésie textoïque. Et pourtant, au large de ces côtes se joue un drame apocalyptique qui va, quelques minutes plus tard, figer cette société bouillonnante et en guise de prélude à l’agonie transformer toute forme de vie en gémissements plaintifs. Pire, pour les rescapés de la catastrophe, il leur faudra aussi affronter les peurs et les angoisses de vivre désormais dans une ville contaminée par les rejets dus à l’explosion de la centrale nucléaire de Fukushima, située à moins de 100 kms. La psychologie japonaise qui veut que l’individu ne s’oppose pas au devoir public favorisera le même type de discours tenus pour Tchernobyl et les mêmes petits arrangements entre amis.

Mais que faisaient précisément les habitants de cette mégapole au moment de la catastrophe ? Les reporters de l’incongru étaient sur place et n’en reviennent toujours pas.

Ainsi, sur la longue promenade qui borde la plage de Sendai, Monsieur Sushi déroulait des kilomètres de gomme torique sur autant de kilomètres d’asphalte, pétri qu’il était de certitudes dans sa nouvelle automobile 4x4. Il l’avait acheté par hasard ou plutôt pour assurer la sécurité de sa petite famille. Le vendeur lui avait vanté sa bonne tenue de route et sa capacité à sortir d’une ornière grâce à ses quatre roues motrices. Elle pouvait avec la même aisance franchir des passages à gué grâce à son moteur étanche. Un rêve foudroyé par la vague qui emporta le 4x4, son étanchéité, la famille et Monsieur Sushi dans ses flots. Ce fût sans conteste l’opportunité pour ce conducteur émérite de tester les prouesses de son véhicule, car il pressentait que l’occasion ne se représenterait pas de sitôt. Nous pouvons dire à présent qu’au moment où nos reporters ont croisé Monsieur Sushi, il ondulait, sans même l’espoir d’un ondoiement, dans un liquide saumâtre au volant de son 4x4 surélevé auquel il ne manqua que quelques centimètres pour surnager, tout comme au mur de protection de la centrale de Fukushima. On imagine la vision effroyable et le sentiment d’impuissance qui s’emparent de l’esprit d’un humain confronté à un tel drame. Le spectacle de cette mer d’huile avançant sans relâche et charriant des monceaux de déchets humains, tous plus utiles les uns que les autres, fournit en l’espace de quelques minutes plus d’incertitudes qu’il n’en faut pour déstabiliser l’ordre devenu si précaire de cette mégapole. Quelle ruine ! Des boutiques entières de téléphones portables, de tablettes et autres gadgets emportées sans ménagement. Des trains, des bus, des navires ballotés et à la dérive alors que quelques temps auparavant, ils étaient encore les fleurons d’une technologie de pointe. La vague ne respectait rien.

A l’aube d’une humanité radioactive où le moindre gène sera infecté par son élément le césium 137, nous savons avec pertinence décrypter les origines de l’Homme mais nous lui construisons un futur bien incertain. Un peu à l’image de ces hommes politiques qui font mine de combattre la fatalité d’une économie qu’ils contribuent à construire, l’humanité radioactive connaît l’origine de ses maux mais refuse de les voir de peur de devoir admettre sa faute. Donc, pour aménager le temps de la destruction, elle fabrique des lobbys chargés de la scotomisation des esprits. Et ça marche ! A Fukushima, comme à Fessenheim, à Tchernobyl ou lors de l’explosion de la centrale nucléaire de Marcoule, où la radioactivité mesurée fût 500 fois plus élevée que la normale, tout est faux mais nous reconduisons les mêmes chefs de guerre aux manettes du navire.

Tout est donc falsifié : La hauteur des murs d’enceinte, la sécurité des sites, les degrés de radioactivité, les fuites, les alarmes, les alertes,… Tout est mensonger ou minimisé. Le géant nippon ne pouvant soutenir davantage le mensonge poussa l’insulte faite à son peuple en modifiant les normes de radioactivité acceptables pour la santé humaine.

Et vous voudriez que l’incongru se taise ?

Nous savons aujourd’hui que l’éclosion de la vie résulte en partie d’une fantastique alchimie et surtout d’un pacte de non agression entre des vents solaires ravageurs et un champ magnétique terrestre protecteur. Nous savons également qu’il aura fallu quelques millions d’années de combinaisons aussi merveilleuses que troublantes pour que la terre accepte d’accueillir en son sein celui qui tenterait de la dompter. Et pourtant, l’association de savants fous et de lobbys militaires ou industriels parvient en moins d’un siècle à créer les conditions nécessaires à la disparition des espèces, risquant ainsi de mettre un terme définitif à la biodiversité. Nous en sommes devenus à ce point si misérables dans notre impuissance à renverser le cours des choses, que nous pensons qu’il suffit de rassurer les sonneurs de glas à grands coups de généreuses déclarations ou des sommets dispendieux. Après la déstructuration et l’atomisation sociétales, nous voici donc parvenus au constat que rien ni personne ne pourra enrayer la nucléarisation de la planète. Et voilà, le travail sera fini et la fameuse filière d’avenir où parade le lobby militaro-nucléaire aura donc eu raison de toute clairvoyance. Merci et encore bravo.

L’incongru persiste et signe : “Le lobby militaro-nucléaire est une organisation aux bas fonds impénétrables et régulée par une omerta infaillible. Sa soif de pouvoir et sa complice de toujours la perfide faconde abreuvent l’humanité de souffrances et de larmes. Et pourtant, nous savons :”

http://www.liberterre.fr

« Le lobby militaro nucléaire est aux commandes de l’AIEA et de l’OMS. « Depuis la signature, le 28 mai 1959, de l’Accord OMS-AIEA (WHA 12-40), l’OMS paraît soumise à l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA), pour ce qui concerne les risques liés à la radioactivité artificielle, notamment dans l’étude des conséquences sanitaires de l’explosion de Tchernobyl. Professionnels de la santé » ( Independentwho, 2/12/ 2007). C’est pourquoi, le 26 avril 2007, les ONG Enfants de Tchernobyl Belarus, CRII-RAD, Réseau Sortir du nucléaire, ContrAtom Genève (parmi de nombreuses autres ONG) ont lancé un appel pour l’indépendance de l’OMS. Cet accord du 28 mai 1959 contraint l’OMS, avant toute déclaration publique portant sur les problèmes de santé liés au nucléaire, à consulter auparavant l’AIEA, afin de « régler la question d’un commun accord ». L’article III « prévoit de prendre certaines mesures restrictives pour sauvegarder le caractère confidentiel de certains documents ». L’AIEA est elle-même sous l’influence de l’industrie nucléaire civile (Areva) et militaire. Auparavant, l’OMS avait déjà été soumise à la pression de lobbies du tabac, de l’amiante (Saint-Gobain), à celle des laboratoires pharmaceutiques, etc. (Independentwho, 22/03/2007). »

Les véritables dimensions de la catastrophe de Tchernobyl

Lettre du Professeur Nesterenko à Wladimir Tchertkoff, Solange Fernex et Bella Belbéoch - Janvier 2005

Chers collègues,

Bien peu sont encore en vie aujourd’hui de ceux qui, dès les premiers jours de la catastrophe de Tchernobyl, participèrent directement à l’estimation de la situation radiologique au bloc 4 de la centrale atomique de Tchernobyl, ainsi qu’aux actions visant à prévenir la dégradation de cette catastrophe en explosion atomique. Par malheur l’académicien Valeri Legassov, radiochimiste de talent, nous a quittés un an après la catastrophe. Il était, comme moi, membre du Conseil interministériel à l’énergie atomique d’URSS. Dès avant l’accident de Tchernobyl, à nombre de réunions du Conseil présidées par le ministre de la construction mécanique moyenne, Efim Slavski, en présence de l’académicien Anatoli Alexandrov, Legassov a exigé le durcissement des mesures de sécurité de l’exploitation de la centrale atomique de Tchernobyl qui dépendait du Ministère d’Energétique d’URSS (ministre Piotr Neporojni).

Je vais donc essayer de reconstituer à l’aide de mes archives (notes de 1986) la chronologie des événements et je décrirai les mesures prises par le Gouvernement d’URSS et la Commission Spéciale du Conseil des Ministres pour essayer de localiser [circonscrire] l’accident survenu à la centrale de Tchernobyl. Le 27 avril 1986 je pris l’avion pour Moscou où je devais me rendre pour affaires. Je remarquai dans l’avion que mon dosimètre de poche donnait des valeurs bizarres une très grande puissance de dose (des centaines de fois supérieures à ce qu’on observe d’ordinaire à une altitude de 8 000 mètres). Je me dis que mon appareil était hors d’état. Le matin du 28 avril je me rendis au Kremlin, à la Commission militaro-industrielle du Conseil des Ministres de l’URSS, pour y régler des questions urgentes ayant trait aux essais de la centrale atomique mobile « Pamir » dont j’étais le constructeur en chef. C’est là que j’appris l’angoissante nouvelle : un accident était arrivé à la centrale atomique de Tchernobyl, un incendie s’y était déclaré, et le matin du 26 avril une Commission gouvernementale s’y était déjà rendue en avion. Je connaissais bien la construction du réacteur RBMK dans lequel on utilise comme modérateur de neutrons plusieurs milliers de tonnes de graphite. On sait que lorsque le réacteur fonctionne dans son régime normal, tout le graphite est contenu dans un cylindre d’acier. Le ralentissement des neutrons dans le graphite fournit 6 à 7% de toute la puissance du réacteur. Pour maintenir la température de travail du graphite à 500-600°C, le cylindre à graphite est rempli d’un gaz inerte : un mélange d’azote et d’hélium. Le fluide caloporteur (eau) circule à l’intérieur de l’assemblage de graphite. On sait que l’accident s’est produit à cause d’erreurs du personnel qui effectuait une expérience nucléairement dangereuse : il s’agissait de voir comment, en cas d’arrêt d’urgence du réacteur, on pouvait utiliser le dégagement calorifique résiduel pour la production supplémentaire d’énergie électrique. Les barres absorbantes utilisées dans ce réacteur étaient raccourcies et sans bouts en graphite devant remplir le canal au moment de la sortie de la barre du cœur du réacteur ; par conséquent au moment de la sortie des barres le canal se remplissait d’eau (le fluide caloporteur).

Le protocole de l’expérience avait été soumis par la direction de la centrale atomique de Tchernobyl au ministère, au constructeur en chef (l’académicien Nikolai Dollejal), et au responsable scientifique du réacteur (l’académicien Anatoli Alexandrov). N’ayant pas reçu de réponse positive écrite, la direction de la centrale de Tchernobyl prit malgré tout la décision d’effectuer le 25 avril 1986 les expériences prévues. Le réacteur RBMK se distingue par un enrichissement relativement faible du combustible (1,8% en uranium 235) et des coefficients positifs de température fort importants, surtout aux niveaux de puissance peu élevés du réacteur. En été 1986, après l’accident, le ministre de construction mécanique moyenne, E. Slavski, me montra tout le programme de l’expérience. Selon ce programme il fallait abaisser la puissance du réacteur jusqu’à 800 Mw puis, à partir de ce niveau de puissance, étudier après le lâchage des barres du système de sécurité la marche par inertie du turbogénérateur pour déterminer la quantité d’énergie électrique produite. Au moment de l’expérience, la puissance du réacteur chuta jusqu’à 60-80 Mw et selon les lois de physique le réacteur tomba dans un « trou d’iode ». Dans cette situation il fallait arrêter le réacteur, attendre 2 ou 3 jours que les isotopes d’iode à vie brève se désintègrent et que la puissance revienne à son niveau normal. Selon les dires des participants de l’expérience, le personnel de la centrale atomique a extrait les barres compensatrices du cœur du réacteur et mis en marche les pompes de circulation complémentaires pour amener de l’eau dans le réacteur. La radiolyse de la vapeur dans le canal fit se former un mélange détonnant d’hydrogène et d’oxygène qui provoqua la première explosion thermique au sein du réacteur.

Il y eut une déviation du flux de neutrons dans le réacteur, l’eau qui avait rempli les canaux libérés des barres absorbantes se mit à bouillir. En 3 ou 5 secondes la puissance du réacteur se vit centuplée. Les éléments combustibles en céramique (en bioxyde d’uranium) à basse conductibilité calorifique furent rapidement détériorés par les énormes tensions thermiques. On sait que la décomposition de l’eau se produit avec le plus d’efficacité sur les éclats de combustible. Suivit une seconde déflagration du mélange détonnant qui déchira l’enveloppe hermétique du graphite et fit éclater la dalle de béton supérieure (environ 1200 tonnes ; elle se trouve aujourd’hui encore inclinée à 60°). L’air eut ainsi accès au réservoir de graphite. Lorsqu’il brûle dans un milieu d’air, le graphite donne une température allant jusqu’à 3600-3800°C. A cette température les enveloppes de zirconium des éléments combustibles et des tubes de force dans le graphite jouèrent le rôle de bougies d’allumage et de catalyseurs, contribuant au développement ultérieur de l’accident. Les 1700 canaux actifs du réacteur contenaient 192 tonnes d’uranium (enrichis à 1,8% d’uranium 235). De plus les canaux de maintien contenaient les assemblages de cartouches déjà utilisées qui avaient été déchargées du réacteur. Sous l’effet de la grande température du graphite en feu, les canaux du combustible se sont mis à fondre (comme les électrodes dans l’arc voltaïque) et le combustible fondu commença à couler en bas et à s’infiltrer dans tous les orifices des câbles électriques. Le réacteur reposait entièrement sur une dalle de béton de 1 mètre d’épaisseur. En bas, sous le réacteur, on avait construit de puissantes chambres de béton pour la collecte des déchets radioactifs. Comme le personnel continuait à pomper l’eau dans le réacteur avec les pompes de circulation, l’eau s’infiltra bien sûr dans ces souterrains en béton armé. Un grand risque apparut : si la masse en fusion perçait la dalle de béton sous le réacteur et pénétrait dans ces chambres de béton, il pouvait se créer des conditions favorables à une explosion atomique. Les 28-29 avril 1986 les collaborateurs du département de la physique des réacteurs de l’Institut de l’énergie atomique de l’Académie des sciences de Biélorussie ont fait des calculs qui montrèrent que 1300-1400 kg du mélange uranium+graphite+eau constituaient une masse critique et une explosion atomique d’une puissance de 3 à 5 Mégatonnes pouvait se produire (c’est une puissance 50 à 80 fois supérieure à la puissance de l’explosion d’Hiroshima). Une explosion d’une telle puissance pouvait provoquer des radiolésions massives des habitants dans un espace de 300-320 km de rayon (englobant la ville de Minsk) et toute l’Europe pouvait se trouver victime d’une forte contamination radioactive rendant la vie normale impossible. Je fis un rapport sur les résultats de ces calculs le 3 mai 1986 à une réunion chez le premier secrétaire du CC, N. Sliounkov. Voici quelle était mon estimation de la situation que j’exposai à cette réunion : la probabilité d’une explosion atomique n’était pas grande car au moment de l’explosion thermique tout le cœur avait été mis en pièces et dispersé non seulement à l’intérieur du réacteur mais sur tout l’espace industriel entourant la centrale. On me demanda pourquoi je ne garantissais pas à 100% qu’une explosion atomique ne pouvait avoir lieu à Tchernobyl. Je répondis que pour cela il fallait connaître l’état de la plaque de béton sous le réacteur. Si la plaque n’avait aucune brèche, aucune fente ou crevasse et si des fentes n’allaient pas apparaître plus tard, on pouvait affirmer qu’il n’y aurait pas d’explosion atomique. Il y a une chose que je sais pour sûr : des milliers de wagons de chemin de fer avaient été réunis autour de Minsk, Gomel, Moguilev et les autres villes se trouvant dans un rayon de 300-350 km de la centrale de Tchernobyl pour l’évacuation de la population si une telle nécessité se présentait. On s’attendait à ce que l’explosion puisse avoir lieu les 8 ou 9 mai 1986. C’est pourquoi toutes les mesures possibles furent prises pour éteindre avant cette date le graphite qui brûlait dans le réacteur. On amena d’urgence à Tchernobyl des dizaines de milliers de mineurs des mines des environs de Moscou et du Donbass pour qu’ils creusent un tunnel sous le réacteur et installent un serpentin de refroidissement pour refroidir la dalle de béton du réacteur et exclure toute possibilité de formation de fentes dans cette plaque. Les mineurs durent travailler dans des conditions infernales (haute température et haut niveau de radiation) pour sauver la plaque de béton de la ruine [le débit de dose à la sortie du tunnel était d’environ 200 R/h]. Il est impossible de surestimer ce que ces hommes pleins d’abnégation ont fait pour prévenir une éventuelle explosion nucléaire. La plupart de ces jeunes gens sont devenus invalides, nombre d’entre eux sont morts à l’âge de 30-40 ans. Il est évident que la situation radiologique dans le réacteur était terrifiante. Comme un accident de cette envergure n’avait pas été prévu au moment de l’élaboration du projet, il n’y avait pas à la centrale de Tchernobyl d’appareils dosimétriques capables de mesurer des niveaux de radiation aussi élevés. C’est pour cette raison qu’on m’amena en hélicoptère de Minsk à Tchernobyl dans la nuit du 1 mai. Dans l’hélicoptère nous avions installé le spectromètre-gamma pour la mesure de doses puissantes que possédait notre Institut et qui devait équiper la centrale atomique « Pamir » dont le réacteur avait une défense biologique incomplète et de forts niveaux d’irradiation. En survolant le réacteur à l’aube du 1 mai avec l’académicien Legassov, nous réussîmes à mesurer la puissance d’irradiation sur le toit du réacteur qui était de 12 000 - 14 000 R/h (la puissance [dose] mortelle pour un homme est de 600 R/h). Pendant le survol du réacteur d’abord à 300 m. d’altitude, puis à 150 m. la puissance de dose à l’intérieur de l’hélicoptère s’était élevée respectivement jusqu’à 100-400 R/h. Les académiciens Legassov et Guidaspov proposèrent de pomper du gaz carbonique dans les ruines du réacteur (considérant qu’il repousserait l’air), de verser de l’hélicoptère du sable et de la poudre de dolomie sur le graphite en feu, ce qui devait éteindre le graphite. Dans les premières heures qui suivirent l’accident on avait déversé sur le réacteur en feu plusieurs milliers de tonnes de plomb pour éviter une explosion atomique. Ce plomb s’évapora, s’éleva dans les airs et retomba dans les régions sud de la Biélorussie, ce qui est une des causes du taux élevé de plomb dans le sang des enfants des districts administratifs de Braguine, Khoiniki et Narovlia. On sait que le 7 mai 1986 l’incendie qui faisait rage dans le bloc 4 de la centrale atomique de Tchernobyl fut éteint. Pourtant il y eut encore plusieurs rejets de gaz radioactifs en provenance du réacteur et le service de radioprotection de notre Institut enregistra une augmentation de 3 à 4 fois de la contamination radioactive dans le district de Narovlia (70 km de la centrale de Tchernobyl). L’exploit des centaines de milliers de jeunes gens - pompiers, soldats, mineurs « liquidateurs » de ce terrible accident, ne connaît pas son pareil. Selon l’estimation des physiciens, il y avait dans le réacteur de la centrale de Tchernobyl près de 400 kg de plutonium. On estime que près de 100 kg de plutonium ont été rejetés dans l’environnement au moment de l’incendie (1 microgramme de plutonium est une dose mortelle pour un homme pesant 70 kg).

Mon opinion est que nous avons frisé à Tchernobyl une explosion nucléaire. Si elle avait eu lieu, l’Europe serait devenue inhabitable.

Une idée dangereusement fausse fait son chemin en Occident : Du moment que les réacteurs de la centrale de Tchernobyl sont arrêtés, il paraît qu’il n’y a plus de risque d’explosion atomique. Or, tant que le combustible nucléaire se trouve à l’intérieur du réacteur en ruines, il présente un danger non seulement pour l’Ukraine, la Biélorussie et la Russie mais pour les populations de l’Europe entière. Les peuples d’Europe devraient selon moi être infiniment reconnaissants aux centaines de milliers de liquidateurs qui au prix de leur vie sauvèrent l’Europe d’un malheur atomique gravissime. Selon la déclaration faite en 1996 par la direction de l’association « Union de Tchernobyl », plus de 20 000 hommes de 30 à 40 ans qui avaient participé à la liquidation des conséquences de Tchernobyl étaient morts à cette date.Dans le rapport national intitulé « Les conséquences de Tchernobyl au Bélarus 17 ans après » (Minsk, 2003) on note une augmentation du nombre des cas de toutes les espèces de cancers (cancers du colon, des poumons, de la vessie, de la thyroïde) supérieure à celle observée chez les habitants des régions non contaminées, et ce d’une valeur statistiquement fiable. On prévoit avant 2030 et rien qu’au Bélarus le développement de 15 000 cas de cancers de la thyroïde induits par la situation radiologique. Les enfants constituent la partie la plus vulnérable de la population du Belarus. Selon les données officielles du ministère de la Santé du Bélarus, si en 1985 85% des enfants étaient en bonne santé, en 2000 il y en a moins de 20% dans tout le pays et moins de 10% dans le district de Gomel. Voilà pourquoi il est nécessaire d’organiser d’urgence la protection radiologique des 500 000 enfants qui habitent dans les territoires contaminés du Belarus. V. Nesterenko, membre correspondant de l’Académie des sciences du Belarus, professeur, docteur ès sciences techniques, liquidateur des conséquences de l’accident survenu à la centrale atomique de Tchernobyl en 1986

www.infonucleaire.net

Aragon nous exhortait à la clairvoyance dans son long épilogue, en nous rappelant que nous avions vu faire de belles choses, mais le constat est lourd d’une humanité exsangue survivant sur une terre essoufflée. La machine infernale du sabre et du goupillon, qui nous ballotte de livres saints en canons et de promesses de campagne en mensonges d’état, vampirise au passage toute velléité de subtilité dans les rapports humains, en nous faisant miroiter l’existence d’un être omnipotent et omniscient veillant sur nos conditions de vie, qu’il soit un dieu ou son incarnation. En réalité, elle accouche d’une humanité qui s’ankylose dans une inactivité alarmante et qui minée par des intérêts égoïstes et irrationnels ordonne la liberté d’exploiter jusqu’à épuisement sous prétexte de compétitivité. Pour ces mêmes raisons, le Japon a laissé Tepco sans contrôle pour finalement nationaliser l’entreprise. Les japonais paieront deux fois la facture une fois sanitairement les errements et les mensonges d’un consortium aux intérêts plus que douteux et une fois financièrement pour dépolluer et reconstruire.

Même si la rudesse du propos de l’incongru obéit à un droit de réponse à la hauteur des enjeux et des mensonges et semble vouloir conclure en la matière, le temps radioactif est si long que d’autres pourront s’épancher encore de longues années sur ce vaste sujet.


En attendant le temps s’écoule et, mais cela n’a rien à voir avec Tepco et ses sbires, la banquise fond à une telle allure que les scientifiques s’alarment : ils ont raison mais ils sont les seuls. Dans son sillon, l’ours blanc disparaîtra dans le silence des consciences et ne saura jamais pourquoi le sol se dérobe sous ses pattes. La baleine se meurt d’amour. Son chant qui jadis traversait les océans se heurte aux bruits sous-marins produits par l’activité humaine et les rencontres amoureuses s’en trouvent affectées. « Si les abeilles venaient à disparaître, l’humanité n’aurait plus que quatre années devant elle » Cet aphorisme attribué à Albert Einstein n’est qu’une citation apocryphe et pourtant les abeilles meurent.

L’Homme sait comment tout ceci est arrivé ou pourquoi tout cela arrivera. Il connaît son histoire et a appris à prévoir mais il sait aussi comment arrêter le processus. Le paradoxe veut que ce soit par son fait et dans un vacarme assourdissant que le monde du vivant devient peu à peu silencieux.

Que faire et que dire ? Mais que d’ire !

L’incongru hait les dimanches pastoraux.

Nous écrire pour nous insulter

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