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CARNET DE VOYAGE 1

Décembre 2009

, par l’incongru


“La philosophie, l’art et la religion existent parce que la mort oblige les hommes à inventer des parades pour ne pas avoir à succomber et à trembler d’effroi devant elle. La mort emportera chacun de nous, elle a pris ceux qui nous ont précédés, elle n’épargnera pas les suivants – question de temps.

Cette vérité d’évidence travaille consciemment et inconsciemment le corps et l’âme de tous depuis toujours : comment vivre avec un squelette en soi ? De quelle manière accepter l’inéluctabilité, sous le regard d’un être aimé, des orbites vides et creuses un jour rempli de terre ? Et derrière ce sourire, des dents après-demain en farandole plantées dans une mâchoire désarticulée au fond d’un cercueil pourri ? Dans l’incroyable fait du premier cadavre, la religion a puisé ses sucs noirs et amers.

La religion a travaillé l’humanité depuis ses premières heures : de la simplicité animiste d’un poignée d’individus agenouillés devant le soleil de Lascaux aux rhétoriques absconses de la théologie négative universitaire, en passant par les formes triviales des trois religions monothéistes, l’intelligence fonctionne à plein régime pour répondre à cette seule question : comment vivre avec la mort, malgré elle ? D’où une série d’interrogations associées et conséquentes : que peut-on espérer d’un futur proche, ou éloigné, avant elle et après elle ? Pourquoi, pour qui, pour quelles raisons doit-on disparaître un jour ? Peut-on la conjurer, la tromper, y échapper ? Y a-t-il à l’origine de cette fatalité une cause, un genre de faute, de péché, une espèce de geste malheureux ?

Les hommes se tuent en spéculations toutes plus vaines les unes que les autres pour éviter la seule réponse possible : la mort existe selon le seul ordre des lois de la nature, elle est nécessaire à la vie pour sa durée, sa répétition, sa continuation sur le théâtre planétaire. Vitalité, reproduction, durée de l’espèce, santé, puissance et énergie du principe à transmettre, l’alphabet biologique triomphe aveuglément en dehors de toute considération morale. La cessation d’une vie ici, parce qu’épuisée, fatiguée, moins performante, usée, amoindrie, rend possible une autre vie là, neuve, fraiche, active, dynamique, efficace, insolente. Le cadavre laisse place au fœtus, la naissance a besoin d’un espace vital dégagé par un décès. Les lois qui régissent la disparition des macaques dans la forêt vierge coïncident très exactement avec celles qui président indistinctement à l’effacement des hommes sur la planète.

Étrange, il faut sans cesse dire et redire ces évidences ontologiques quasi grossières tant elles devraient procéder du simple bon sens. Curieux, on s’attire l’œil mauvais de ceux qui ne veulent pas entendre ces lapalissades et rendent l’annonceur de la mauvaise nouvelle responsable de son contenu. Bizarre, peu d’individus acceptent ces conclusions primaires, avant d’en tirer matière à vivre et leçons existentielles. Incompréhensible cet acharnement de la plupart qui se disent athées, à vivre avec le religieux chevillé viscéralement au corps. Étonnant, cet art du plus grand nombre à vivre à genoux, incapables d’une station debout devant la mort, raides et droits dans leur squelette…

Le futur effraie parce qu’on le refuse dans l’évidence de ses conséquences : limité, contenu, bref, sans rapport aucun avec l’éternité, il déçoit puissamment. Demain, après-demain, les jours qui suivront ? De l’improbable, de l’incertain dans le détail ; mais du solide dans le fond : la mort, le néant, le trépas et l’éternité du squelette allongé en terre ou pulvérisé en poudre dispersée, ultime façon très en vogue de ne pas s’accepter pétrifié dans les ossements, encombré dans sa carcasse de phosphore parfois crépitante la nuit dans les cimetières… Ce qui nous attend ? L’anéantissement, rien d’autre. Du moins réjouissons-nous de disposer ainsi d’une fondation ontologique à une morale de la jubilation vitaliste.

Les cultures, les civilisations se structurent autour de ce vide métaphysique. Elles remplissent tout autour en périphérie, ce noyau de néant, ce trou d’être, ce manque, avec des fictions, des histoires, des fables, des constructions pourtant tout juste bonnes, par leur indigence, à divertir des âmes fragiles. D’où la religion, première forme prise par cette volonté de conjurer l’impensable et l’impossible aux yeux de ceux qui ne savent, ne veulent ni ne peuvent faire la paix avec cet encombrement d’ossements dans leur être. Ils veulent couvrir le cliquetis de leurs os par du verbe, des mots et des consolations. Peine perdue…

Le christianisme, en Occident, a exploité ce filon de l’angoisse des hommes avec la passion et le vertige des grandes entreprises fascinées par la négativité : les abattoirs, les boucheries, les charniers, les équarrissages, les morgues, les ossuaires, les catacombes. Odeurs de sang, de viscères, de pourriture, de cercueil et de moisi. En plaçant son entreprise sous le signe du sang versé, de la crucifixion, du sacrifice, de la mort, de l’expiation, la religion du Nazaréen célèbre les pulsions mortifères, elle les entretient puis les vénère à la manière de plantes vénéneuses et noires. Son fond de commerce ? La peur du néant, l’angoisse devant le cadavre, l’interdiction face à la rigidité des morts, la terreur en présence des défunts, le désarroi avec les pompes funèbres.

Ce présent du mort, ce devrait être mon futur ? Il me faudrait moi aussi, connaître cette pâleur glacée, cette peau verdâtre et gelée, cette immobilité dans laquelle on guette en vain le moindre frémissement qui permettrait de se réveiller de ce que toujours on prend pour un mauvais rêve ? Un jour, je revêtirais cet accoutrement endimanché et décalé ? A mon tour, je serais maladroitement maquillé, les pommettes artificiellement roses, les lèvres grossièrement gonflées, la peau ridiculement fardée ? Moi, brièvement vivant, aujourd’hui, je devrais mourir demain, et pour l’éternité ? Qu’on me présente à l’instant un mage, un magicien, un prêtre, un vendeur d’arrière monde, un prometteur de billevesées, et je lui baise les mains sur-le-champ, je lui vends que dis-je ? Je lui donne mon âme. Qu’il parle…

Et ils parlent, ces croque-morts de l’absolu, eux-mêmes terrorisés par cette aventure du néant. Ils pérorent d’autant que leur propre incapacité à accepter la mort pour leur compte les transforme en machine à fabriquer du salut, celui des autres dans l’espoir de gagner le leur. Sans arrêt, apparemment sûrs d’eux, péremptoires, ils colportent les fables destinées à masquer la misère d’avoir à disparaître un jour, bientôt : le ciel, le salut des anges, un Dieu, un jugement dernier, un paradis, un purgatoire, des enfers, un diable ; ils dramatisent : un péché originel, un jardin d’Eden, une faute, une damnation, une punition, ils menacent : expiation, culpabilité, rachat ; ils promettent : le salut, la vie éternelle, la résurrection de la chair, le corps glorieux, la félicité perpétuelle ; ils enjolivent : paix, harmonie, bonheur, satiété…

Tous les clergés, quelles que soient les religions, s’appuient sur ces leviers, et depuis toujours. Les formes changent, les décors se modifient, certes, mais le théâtre demeure, avec les mêmes personnages, le Bien et le Mal, la même pièce, la Vie et la Mort, les mêmes protagonistes, le prêtre et le pêcheur, et les mêmes ressorts tragiques, la Faute et la Rédemption, la Culpabilité et le Salut. Sans cesse d’identiques machines à fabriquer des hommes malheureux de vivre leur vie, ici et maintenant, et désireux de se racheter dans l’au-delà, plus tard. Chacun se trouve langé, dès son plus jeune âge, dans ce suaire qui mouille les os et rigidifie l’échine. Le catéchisme, le poids culturel, les formes sociales dominantes, les structures laïques, imbibées du poison religieux judéo-chrétien, fabriquent un déterminisme et génèrent une nécessité qui contraignent et soumettent la plupart. Seules quelques âmes fortes et trempées échappent à la contamination, les esprits forts que n’aimait pas Pascal et contre lesquels il a lancé les fragments et papiers de sa machine de guerre apologétique inachevée.

Les religions monothéistes lisent toutes le temps de la même manière : le passé ? Un âge d’or, une ère idéale où le vin, le miel et le lait coulaient à flots, dans les ruisseaux d’une géographie paradisiaque habitée par un premier homme radieux et ne manquant de rien. Le présent ? Un temps sinistre marqué à son origine par une faute, un péché, une désobéissance de la femme à Dieu, un âge de fer soumis à la corrosion, à la rouille, à la desquamation lente mais sûre, une vallée de larmes, en paiement de dettes irrémissibles dans l’instant. Le futur ? Un espace possible pour retrouver le temps idéal des origines, si et seulement si on paie assez cher la possibilité de son salut.

Comment payer ? En renonçant, de son vivant, à la vie. Ainsi se dévoile le paradoxe des religions, leurs limites et leurs ridicules potions : pour apprivoiser la mort, pour la dépasser, allez à son devant, précipitez-vous sur elle, baisez-lui la main, acceptez son invite, soyez-lui dévoué et acquis, avancez son heure, donnez-lui raison le plus vite possible. Pour conjurer l’angoisse d’avoir à mourir, trépassez tout de suite, ici et maintenant : transformez votre existence en un suicide lent, très lent, mais permanent, perpétuel, faites de votre vie, le seul bien dont pourtant vous disposez sûrement (plus sûrement qu’une vie après la mort…), une perpétuelle occasion de distiller le néant dans le plus infime détail de votre quotidien, offrez un holocauste qui vous sauvera, faites sacrifice de la moindre seconde dont vous disposez pour assurer votre rédemption. Alors, quand la mort viendra, elle ne prendra qu’un cadavre…

Quelle consolation ! Quelle misérable solution ! Croit-on qu’elle se fâchera d’avoir été dépossédée ? Certes non, puisque, au contraire, on aura devancé son œuvre, travaillé à sa place, accompli ses travaux. Le futur ne se conjure pas, le passé ne rachète pas, seul le présent se vit, dans l’instant. Voilà pour quelles raisons les religions invitent à le vider de tout ce qu’il pourrait contenir de voluptueux, de joyeux, de gai et de solaire. Toutes édictent des lois pour condamner les désirs, les plaisirs, les émotions, les sensations, les perceptions, le jeu normal et naturel du corps. En voulant guérir d’un futur angoissant, elles transportent la négativité dans le présent qu’elles pervertissent intégralement.

Le religieux dure et durera. Les religions passent, trépassent, se modifient, disparaissent, laissent place à des reformulations, mais le besoin de consolation, impossible à rassasier, lui, ne s’éteindra pas. D’où le déplacement de la compensation du côté de l’irrationnel contemporain. Si, en Europe occidentale, l’Eglise catholique fait la plupart du temps sourire, si l’on ne sacrifie plus au rituel de la confession, de la communion, du rite, si l’on se gausse des dogmes, de l’Infaillibilité Papale à la Virginité de Marie en passant par l’Immaculée Conception, si l’on se raidit contre les invites morales du Vatican, si l’on ne croit pas à la transsubstantiation, si l’on ignore de plus en plus la matière et le contenu de la religion chrétienne, on croit toujours, comme en une assurance vie métaphysique sur le futur, à la divination, à l’astrologie, à la parapsychologie, à la voyance, à la numérologie, à l’astrothérapie, à l’ufologie, au spiritisme et à tant d’autres disciplines de la conjuration du futur par le discours lénifiant, puéril et consolant…

L’abondance des sectes confirme l’incapacité de la plupart à assumer le squelette en eux. Le chrétien ne pense pas, on pense pour lui. Pareillement pour les sectaires, quel que soit le nom de baptême de l’instance concernée – catholiques, dévots du Temple solaire ou autres affidés scientologiques. Le religieux cristallisé et formulé en religion fournit à chaque membre de la communauté une occasion de renoncer à ses problèmes individuels, personnels, subjectifs et singuliers, puis de confier leur résolution à un tiers - le prêtre, le chef de secte, le gourou, le maître, celui pour lequel on se défait de soi, on abandonne son être, pour recevoir un mode d’emploi pour tâcher de conduire sa propre existence. La peur du passé conduit certains, animés par un puissant instinct grégaire, à renoncer à leur futur en visant l’éternisation d’un présent consacré à faire le vide en soi ; on mobilise toute son énergie pour creuser son être, le dévitaliser, le décérébrer, afin de faire place à la volonté de celui qui remplira ce vide par un contenu utile pour la réalisation de ses fins délictueuses.

Le corps astral, la cryogénisation comme voie d’accès à l’éternité, la vie après la mort aperçue sous forme d’une lumière intense au bout du tunnel, la réincarnation, la permanence d’une âme post mortem qui autorise une convivialité avec ses proches retrouvés dans un genre d’empyrée karmique, l’avenir déjà décrit dans un espace lisible par des personnes médiumniques, la possibilité de communiquer avec l’esprit de morts lors de séances de tables tournantes, l’existence de consciences extraterrestres et d’une vie élaborée dans un autre système planétaire, les vérités promulguées par le traçage d’un thème astral, le triomphe des médecines d’un genre chamanique – des séances de désenvoûtement à un certain usage de la psychanalyse en passant par les thérapies magnétiques, sophrologiques, homéopathiques, etc. -, tout confirme la fragilité de l’espèce humaine et sa dévotion confite au premier imbécile venu pourvu qu’il porte un discours de conjuration du négatif dispensant de faire le travail soi-même. La religion se nourrit de cette démission des individus et de leur prise en charge du collectif, du communautaire.

Tous ces recours à d’autres mondes, d’autres puissances, toute cette volonté de vénérer des forces étrangères à celles dont la rationalité rend compte, tous ces abandons personnels à des logiques infantiles et infantilisantes, tous ces renoncements à soi, toutes ces confiances données, vendues, bradées à des figures qui exploitent la crédulité et la faiblesse des consciences terrorisées par la nécessité de devoir faire face à la mort, à un futur irrémédiablement marqué par le trépas, tout cela suppose encore et toujours l’ombre du néant, son souffle glacial dans le cou de chacun. L’irrationnel délirant de cette fin de millénaire s’enracine dans le nihilisme consubstantiel à la disparition de la religion, mais aussi à l’évaporation de l’idéal communautaire.

Car, outre la religion, la politique fournit la seconde grande forme prise par notre civilisation dans la conjuration de l’impensable – avoir à mourir. Tous ceux qui sacrifient à la thérapie religieuse partagent cette croyance à l’existence d’un réel immatériel, âme ou esprit, qui échappe à l’atomisme auquel tout se résout pour un athée véritable. De même, l’ensemble des croyants à l’idéal politique partagent cette opinion qu’une communauté stable, fixe, figée et définitive peut être réalisée une bonne fois pour toutes, qu’il existe un communautarisme à même de sauver l’homme de l’angoisse d’avoir à quitter un jour cette planète. Mais cette foi en l’Homme vaut la foi en Dieu, car la métaphysique de la communion avec le Très-Haut ou avec son Prochain, son Semblable débouche tout le temps sur l’effacement de soi et la disparition intégrale de la subjectivité dans la forme prétendument accueillante pour l’angoisse et l’aspiration à la consolation.

La religion de la communauté des hommes similaire à celle des invocateurs de divinités, appelle le renoncement à soi. Votre subjectivité vous pèse ? Vous avez de la peine à subir seul votre existence ? Vous souffrez de devoir faire face à vous-même dans la solitude, sans ami, sans complice, sans compagne, sans compagnon ? Vous n’acceptez pas de devoir vous regarder dans la glace et de savoir votre visage corruptible, passager, près de disparaître, s’effaçant petit à petit, jour après jour sous les rides, l’avachissement, la fatigue et les ans ? Vous ne supportez pas l’idée que l’éternité se fera sans vous ? Que vous comptez pour rien en regard des volcans, de la foudre ou des comètes ? Alors, disent les prêtres laïcs, venez et nous ferons une communauté, l’union fait la force. Pitoyables certitudes… Le contrat social procède de cette incapacité à être soi tout seul et à regarder son avenir en face, en le sachant borné par la mort, sans possibilité d’échapper à ce destin. En renonçant à moi-même, et pour la durée de la forme ainsi créée, Etat, Nation, République, Confédération, j’accède à une durée plus certaine, plus fiable, plus longue – voilà comment s’illusionne celui qui n’accepte pas sa finitude. Il pense qu’en devenant membre d’une communauté, il atteint lui-même la longue durée de la mécanique politique ainsi créée. De la famille, cette cellule communautaire de base, à la Nation, voire a la Planète entendue comme un territoire commun, l’individu peut croire au dépassement de son angoisse par la fabrication d’une œuvre qui le porte et le contient. Mais il s’illusionne là encore.

L’appartenance communautaire, l’espèce, une terre politiquement délimitée ou une tribu artificiellement fabriquée, ne dispense pas d’avoir à mourir. Car cette tâche ne se délègue pas. En se divertissant du côté de la politique, en croyant aux guerres, à la diplomatie, à la révolution, à la cité idéale, aux lendemains qui chantent, à l’avenir radieux, les hommes se contentent de sacrifier aux démons de Sisyphe, comme des milliards d’autres avant eux. La religion de la République, celle de la démocratie, de l’Etat, du Reich, du socialisme ou de l’Europe fabrique des sujets, certes, mais elle ne dispense pas l’individu de culminer dans l’état métaphysique condamné à assumer seul les tâches existentielles. Certes, il pourra différer le règlement de ses problèmes ontologiques, mais il vieillira, souffrira et devra mourir seul, se retrouvant face à lui, sans secours possible du côté de la communauté. Le citoyen meurt accessoirement, l’individu certainement.

Le paradis sur terre ? Une fiction tout aussi grotesque que le ciel. L’idéal réalisé, incarné ? Vaine croyance, coûteuse en énergie, exigeante en sacrifice. Le salut par la communauté harmonieuse ? Une minable croyance au nom de laquelle le XXème siècle s’est gorgé de sang jusqu’à en vomir des flots plus que de raison. Le Reich millénaire ? Le socialisme populaire ? La République universelle ? La Démocratie généralisée ? Les Droits de l’homme pour tous ? Des rêves, des béquilles métaphysiques, des prothèses mentales, des hochets pour les petits qui se prennent pour des grands et gèrent leurs pulsions de mort en les dirigeant sur le monde, autrui, l’ennemi, l’autre, le différent, le dissemblable. L’action politique militante excite bien souvent la pitoyable individualité faible et fragile qui dissimule ses failles personnelles derrière un paravent collectif bien utile pour cacher la misère.

Depuis son origine, le fantasme communautaire se nourrit d’utopie. Et des formes récurrentes traversent les tenants de formules définitives en politique : la clôture dans l’espace, l’immobilité dans le temps, la gestion généralisée du détail, la négation des individualités, la généralisation du principe panoptique, la réglementation des flux libres, la répression des forces résistantes, la réduction impitoyable des marges, la dogmatique irénique, puis in fine, la création d’un homme nouveau, doté de toutes les qualités qui lui faisaient défaut avant la révolution politique. Accessoirement mortel par son individualité, il accéderait à l’immortalité par sa participation au projet collectif. La peur de son avenir personnel se pourrait ainsi dissoudre dans la contemplation de la communauté réalisée. Et il y aurait contribué en dirigeant son énergie vers des distractions dans lesquelles il aurait dilué intégralement sa subjectivité. Mort à lui-même par sa soumission aux dieux et à Dieu, vidé de sa substance par sa disparition dans le projet grégaire, l’individu se distrait de la sorte des problèmes véritables : que faire avant la mort ? Quel présent joyeux en regard d’un futur connu et peu reluisant ? Quel sens donner à une existence à priori dépourvue de toute finalité ? En fait, vivre par procuration se révèle la formule choisie par la plupart. Une métaphysique clés en main, une ontologie livrée de toutes pièces, voilà qui comble l’homme, cet animal incapable de solitude intellectuelle ou physique et qui déteste viscéralement la liberté car elle l’installe en face de lui-même, or le spectacle est rarement réjouissant.

Alors ? Alors les religions passent mais le religieux reste, les obsessions politiques ponctuelles obéissent elles aussi aux modes, mais le désir de communauté et de lien social ne disparaît pas. Et pour cause, puisque ces deux moteurs dispensent la plupart des hommes d’assumer en propre leur destin de mortels. Extatiques dans leurs relations extravagantes et baroques avec le monde céleste, hystériques dans leurs rapports sauvages et brutaux avec le monde terrestre, boulimiques de divinités irrationnelles et d’idéaux compulsifs, vaincus par les sirènes théologiques, trompés par les enfantillages politiques grégaires, les hommes avancent vers leur destin en titubant d’autant plus qu’on a constaté la mort de Dieu dans les camps nazis et celle de toute communauté idéale dans les décombres du mur de Berlin.

Dieu est mort, l’Etat aussi. Reste l’individu, son corps, son pauvre bien, le seul centre sur lequel puisse encore aujourd’hui se construire quelque chose ou s’imaginer un avenir. Fantasmes nouveaux ? Peut-être, d’autres que nous verront et sauront. Toujours est-il que théologie et politique classiques, dans leurs formes occidentales, se réduisent à la portion congrue. Peau d’âne de plus en plus ridicule, ces deux magies laissent place à une révolution dont on ne mesure pas, aujourd’hui, les conséquences. Fin de la nature ? Abolition de l’ordre plusieurs fois millénaire ? Éradication de l’Homo Sapiens ? Naissance de l’Homo Artifex ? Disparition des repères stables depuis le néolithique ? Vraisemblablement. En effet, sous les coups de boutoir de la science qui, avec le séquençage du génome humain, surclasse définitivement le sacré théologico-politique au profit d’une nouvelle donne, le sacré anatomique, il faudra un jour repenser l’ensemble du réel. La vie et la mort, la naissance et le trépas, la filiation et la mémoire, la souffrance et le cadavre, l’identité et l’humain, tout va bientôt voler en éclats et exiger une pensée nouvelle, une ontologie et une métaphysique nouvelles. Donc un nouveau rapport au temps, et plus particulièrement, au présent et au futur. D’où, également, une autre façon d’envisager l’art de conjurer la mort, plus efficacement, plus sérieusement. Pour vivre avec elle, les hommes disposent maintenant de possibilités magnifiques, réelles et non plus magiques. Un combat peut enfin s’engager. Désormais, seule la généalogie d’un corps faustien peut abolir l’ordre ancien et dépasser le nihilisme dans lequel nous croupissons depuis trop longtemps."


Évidemment vous avez reconnu un extrait du « journal hédoniste » de Michel ONFRAYmis en application immédiatement pendant le séjour de l’incongru aux confins de l’Europe. Car vous n’imaginiez tout de même pas qu’après la lecture de la belle ouvrage de Monsieur ONFRAY, l’incongru allait se mettre à faire des photos et à raconter sa vie sur FaceBook. Seules quelques heures de lecture, s’il en fallut, suffirent à plonger l’Incongru dans un déclin sacrilège ravageur qui dura lui aussi 40 jours et 40 nuits.

A la gloire des sempiternelles fadaises,

En apnée jusqu’aux cimes des falaises,

A couilles rabattues, il baise, il baise.

Il était temps !

De toute évidence et pour longtemps encore, ce premier chapitre sera une source intarissable de bonheur pour le pauvre mortel qui s’y abreuvera. Indépendamment des rapprochements hâtifs opérés dès la première phrase, entre philosophie, art et religion, à chaque propos, même illustré par son auteur, nous sommes tentés par des associations liées à nos expériences individuelles ou collectives.

La religion, dans sa dimension communautaire élargie ne survit que par la démission sociale et physique des êtres. Mais ces communautés dominatrices sont aussi composées d’humains qui eux ne renoncent pas à leur existence, voire appliquent à la lettre les recommandations de Michel ONFRAY. Leur hédonisme, pour le moins éclectique, nous plonge dans une perplexité, toute relative certes, mais interrogative quant à leurs certitudes sur les enseignements dispensés.

Fais ce que je te dit, mais ne fais pas ce que je fais !

Si Dieu existait, sa seule existence suffirait à convaincre de sa réalité. Nul besoin de prêcheurs en tout genre, sauf si le vrai dessein de ces malins n’était autre que la jouissance dans la soumission de l’autre, sa possession corps et âme et son exploitation. Bien sûr les religions comme le judaïsme, l’islam ou le christianisme ont trouvé la parade à cet argument en invoquant la révélation continue, qui n’est rien d’autre qu’un artéfact – en clair l’homme se parle à lui-même pour se convaincre de ce qu’il désire et finit par entendre sa voix qu’il prend pour celle de Dieu. Essayez, vous verrez ! De la politique à la religion d’état en passant par toutes les sectes, tous les partis et toutes les castes de diverses obédiences, l’analyse des comportements aboutit toujours à la même suspicion. Ces temples de l’assurance-vie, comme des mafias, s’insinuent dans les moindres rouages de la société, puis dans votre vie quotidienne pour faire basculer en culpabilisation toute velléité de singularité. Si par chance, ils ne vous transforment pas en chair à canon, ils vous mettent à genou et cela de manière quasi universelle.

Ils ne lésinent pas sur les moyens pour financer et contrôler les écoles, les œuvres de charité, les centres sportifs ou associatifs ou parfois des états entiers. Pour cela, ils savent s’allier avec toutes les armées du monde et se nourrir de cerveaux fragiles ou fragilisés par des contextes sociaux défavorables. Ils tissent leur toile pour avoir la main mise sur les modes de vie et accessoirement dans la culotte des enfants. Ils s’érigent en guides suprêmes ou spirituels, en père ou mère des peuples, où que vous soyez, à coup de grand-messes ostentatoires.

Tout est permis jusqu’à l’implosion sociale imprévisible.

« Depuis plus de 500 ans, les règles et les théories d’un vieux cheikh arabe, et les interprétations abusives de générations de « prêtres » crasseux et ignares ont fixé, en Turquie, tous les détails de la loi civile et criminelle. Elles ont réglé la forme de la constitution, les moindres faits et gestes de la vie de chaque citoyen, sa nourriture, ses heures de veille et de sommeil, la coupe de ses vêtements, ce qu’il apprend à l’école, ses coutumes, ses habitudes et jusqu’à ses pensées les plus intimes. L’Islam, cette théologie absurde d’un bédouin immoral, est un cadavre putréfié qui empoisonne nos vies. » (Mustapha Kemal Atatürk)

"Imaginez, avec John Lennon, un monde sans religion... Pas de bombes suicides, pas de 11 Septembre, pas de Croisades, pas de chasses aux sorcières, pas de Conspiration des poudres, pas de partition de l’Inde, pas de guerres israélo-palestiniennes, pas de massacres de musulmans serbo-croates, pas de persécutions de juifs, pas de "troubles" en Irlande du Nord, pas de "crimes d’honneur", pas de télévangélistes au brushing avantageux et au costume tape-à-l’œil. Imaginez, pas de Talibans pour dynamiter les statues anciennes, pas de décapitations publiques des blasphémateurs, pas de femmes flagellées pour avoir montré une infime parcelle de peau..." Richard Dawkins.

"La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans cœur, comme elle est l’esprit des conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple." Karl Marx


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