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CARNET DE VOYAGE 4

Mars 2014

, par l’incongru


J’écris dans ce pays


Et vous ne lisez point.


C’est pourtant un pays


Où ce qui vient à point,


Devrait vous alarmer


En ces temps si troublés.

(L’incongru 2014)

« Pour savoir écrire, il faut avoir lu, et pour savoir lire, il faut savoir vivre. »

G. Debord

L’écriture, lorsqu’elle est de bonne facture et qu’elle ne se trouve pas submergée par un kitch dévastateur, est un ressort pour une humanité en proie à la détresse, car elle déclenche son sursaut. Elle sert la mémoire collective comme le souvenir intime. Elle est le miroir de la monstruosité de l’être humain comme de ses jours de gloire. Ce que nous ne savons dire ou peinons à transmettre, nous l’écrivons sur tous les supports, de la grotte à l’arbre et du papier au support numérique.

Sous une forme différente, lorsqu’après trente minutes d’un emballement étourdissant, Beethoven, dans son monumental et unique concerto pour violon, nous fait le ciel toucher du doigt au delà de toutes les espérances, la pensée, la conscience enfin l’âme, non accaparée par quelque cabotin ou derviche en quête d’un au-delà purificateur, entrevoit le mystère qui entoure le génie créateur dont nous sommes les singuliers détenteurs dans la conjugaison de l’espace et du temps. Elle nous fait dire que le reste n’est que matière, amalgame et combinaison. Seule la pensée permet d’appréhender l’existant, sa nécessité, sa consistance et sa finitude. Car si la nature du patrimoine génétique intégré à leur matrice fait que les 8,7 millions d’espèces évoluant sur terre et dans les airs sont contraintes de s’adapter aux métamorphoses de leur milieu ambiant, au risque de s’éteindre, l’homme, doté de la conscience d’être ou de ne pas être, a vite appréhendé quels stratagèmes il lui faudrait développer pour survivre et que l’essentiel de son assurance-vie serait construit à l’extérieur de lui-même. Il s’est donc doté de moyens lui permettant d’assurer sa pérennité en modifiant durablement son environnement. Ces caractères Sui generis, uniques dans l’évolution des espèces, sont la marque de fabrique de notre existence et si nous ne voulons pas être jugés par la postérité comme des êtres sans foi, ni loi et inaccessibles au dialogue, nous serions bien inspirés d’entamer dès à présent notre introspection afin de lui laisser une image un peu plus reluisante, en interdisant par exemple à quelques-uns d’être les planificateurs du malheur de tous. Nous serons bientôt contraints pour nous débarrasser du monde voué au mensonge de masse et à l’usurpation de la vie, de nous approcher un peu plus de la raison. En acceptant par exemple de renoncer aux maintes contradictions qui fertilisent notre orgueil.

Loin de toute pollution structurelle ou reclus dans ce que nous croyons être une vie de bohème, il nous arrive de penser qu’il suffit de grignoter quelques lieux communs dans des journaux d’opposition devenus si talentueux dans l’obséquiosité ou de se délecter des morceaux de roi semés dans l’univers du pamphlétaire, pour se rassurer sur le fait que le monde n’est pas en train de changer sans que nous en soyons informés. Le souci est bien que le monde ne change pas.

En effet, l’avant est toujours aussi présent, les hommes politiques disposent chacun d’une place de choix dans des affaires pestilentielles. La justice de notre pays, à laquelle ils font entièrement confiance, les pourchasse avec acharnement mais avec quinze ou vingt ans de retard et sans espoir de voir un jour réparé le préjudice subi par la société. Ceux qui les ont aidés à accéder au pouvoir révèlent chaque jour de nouveaux méfaits sans que pour autant le peuple ne trouve à redire ou ne se soulève.

Les dictateurs continuent d’assassiner les populations civiles avec des armes chimiques ou pas, fournies par les démocraties. Les chars de Prague ou de Budapest sont désormais à Sébastopol et l’information officielle est aussi mondiale et instantanée qu’elle s’enfonce dans le mensonge.

Le rouleau compresseur de l’empoisonnement planétaire s’est à tel point perfectionné qu’il atteint aujourd’hui les endroits les plus reculés de la planète. Chaque petit lambeau de terre dispose de sa molécule endémique de césium ou de strontium et aucun ciel bleu n’est plus désormais dépourvu de sa particule écotoxique. Les européens qui souriaient en regardant les japonais déambuler dans Tokyo avec des masques anti-pollution rient jaune aujourd’hui.

La très officielle P.A.C. se prosterne au chevet d’une agriculture intensive qui appauvrit d’année en année les terres arables en déversant plus de 40 000 tonnes de pesticides par an rien que sur le territoire français.

La non moins officielle Agence internationale de l’énergie (A.I.E.) annonce qu’en 2016 la production d’énergie renouvelable atteindra le double de l’électricité nucléaire et dépassera celle produite à partir du gaz naturel. Et l’exception française fera de nous le pays disposant du plus grand parc nucléaire civil.

L’A.N.S.E.S. a publié ses recommandations pour 2014 : afin d’éviter l’absorption de métaux lourds et autres particules toutes aussi redoutables, les femmes enceintes et les enfants de moins de trois ans doivent limiter de manière drastique leur consommation de poissons prédateurs de type thon, lotte, loup, flétan, empereur ou raie, éviter les poissons crus ou fumés et pour les poissons de rivière et les coquillages, en consommer au maximum une fois tous les deux mois.

Heureusement grâce à la déferlante technologique que constitue l’interopérabilité des métadonnées, votre santé sera observée à la loupe et Big Brother vous informera en temps réel des dangers qui vous guettent. Enfin au moins pour ceux qui sont connectés, les autres s’en remettront à leur horoscope.

La seule chose qui ne soit pas également répartie demeure la richesse, non pas l’accumulation de biens ou d’argent mais celle qui permet seulement aux populations de vivre suivant leurs besoins. Le riche se sert depuis toujours en premier et toujours à la table du pauvre…

La France vue par Marx en 1850

Publié le 3 janvier 2014 par Olivier Demeulenaere

Remplacez "bourgeoisie" ou "aristocratie" par oligarchie (politico-financière) et vous avez un tableau fidèle de la France actuelle…

"L’endettement de l’État était, bien au contraire, d’un intérêt direct pour la fraction de la bourgeoisie qui gouvernait et légiférait au moyen des Chambres. C’était précisément le déficit de l’État, qui était l’objet même de ses spéculations et le poste principal de son enrichissement. A la fin de chaque année, nouveau déficit. Au bout de quatre ou cinq ans, nouvel emprunt. Or chaque nouvel emprunt fournissait à l’aristocratie une nouvelle occasion de rançonner l’État, qui, maintenu artificiellement au bord de la banqueroute, était obligé de traiter avec les banquiers dans les conditions les plus défavorables. Chaque nouvel emprunt était une nouvelle occasion de dévaliser le public qui place ses capitaux en rentes sur l’État, au moyen d’opérations de Bourse, au secret desquelles gouvernement et majorité de la Chambre étaient initiés. En général, l’instabilité du crédit public et la connaissance des secrets d’État permettaient aux banquiers, ainsi qu’à leurs affiliés dans les Chambres et sur le trône, de provoquer dans le cours des valeurs publiques des fluctuations insolites et brusques dont le résultat constant ne pouvait être que la ruine d’une masse de petits capitalistes et l’enrichissement fabuleusement rapide des grands spéculateurs. Pendant que l’aristocratie financière dictait les lois, dirigeait la gestion de l’État, disposait de tous les pouvoirs publics constitués, dominait l’opinion publique par la force des faits et par la presse, dans toutes les sphères, depuis la cour jusqu’au café borgne se reproduisait la même prostitution, la même tromperie éhontée, la même soif de s’enrichir, non point par la production, mais par l’escamotage de la richesse d’autrui déjà existante. C’est notamment aux sommets de la société bourgeoise que l’assouvissement des convoitises les plus malsaines et les plus déréglées se déchaînait, et entrait à chaque instant en conflit avec les lois bourgeoises elles-mêmes, car c’est là où la jouissance devient crapuleuse, là où l’or, la boue et le sang s’entremêlent que tout naturellement la richesse provenant du jeu cherche sa satisfaction. L’aristocratie financière, dans son mode de gain comme dans ses jouissances, n’est pas autre chose que la résurrection du lumpen-prolétariat dans les sommets de la société bourgeoise".

Évidemment on peut reprocher à l’incongru de ne décrire la terre que sur le modèle de la Ferme des animaux, mais ce cynisme contient la part de poésie nécessaire pour atteindre la jubilation indispensable au détachement. Il faut savoir y lire entre les lignes. Le cynisme, comme la fable ou l’apologue, fait la démonstration que les conventions sociales sont inutiles et castratrices. Il leur manque cependant l’incitation subversive compensée certes par une dérive moralisatrice à toute épreuve. A sa décharge, le cynisme s’il lui manque parfois la touche de poésie ou l’invitation au rire n’en est pas moins ironique et jubilatoire. La fable est universelle certes, mais le cynisme a ce côté satirique qui oblige son concepteur à devenir un citoyen du monde et y associer des pratiques de vie en conformité. Loin des méditations poétiques d’Alphonse au bord du lac, la rencontre d’avec le breuvage cynique mais sans l’ivresse laisse libre cours aux égarements et l’incongru persistera à dire ce que personne ne veut entendre et dont tout le monde se fout. Et pire encore, sans muselière, sans contrainte et sans appartenance, cette extase mythique a la prétention de générer une liesse sans retenue comme un nectar divin s’écoulant du tonneau des Danaïdes. Car il nous faut l’avouer, à peine le temps de balbutier quelques colères et d’essayer de capitaliser le moindre de nos soubresauts et nous voilà déjà revenus au point de départ prêts à entamer le voyage de l’éternité silencieuse.


Alors comme un encouragement à ne pas faiblir, un oiseau rare fit choir cette plume sur mon chemin, ce qui me vaut de la tremper aujourd’hui pour vous. Quant à ce Phoenicopterus ruber roseus, je ne peux rien faire d’autre que de l’accueillir sur cette planète que mon espèce a désormais entièrement colonisée.

« Lire, c’est voyager ; voyager, c’est lire »

V.Hugo.

Dans ses dédicaces, l’incongru consacre chacun des carnets de voyages à un auteur rencontré en chemin, une fièvre, une révolte, une anecdote ou une introspection parfois simplement en lien avec un voyage intérieur. Ainsi donc en est-il de la lecture salutaire du roman d’Eddy Bellegueule – un nom d’oiseau certes mais quelle plume - celui à qui les éditeurs fermèrent leur porte sur ce manuscrit autobiographique au prétexte qu’un tel tragique de situation ne pouvait exister. L’imprégnation émotionnelle que provoque ce genre de littérature, lorsqu’au détour d’un témoignage sans fard la réalité côtoyant le sordide accouche d’un esprit aussi subtil qu’inattendu, fournit à l’incongru la ressource élémentaire à toute révolte. Rien n’est donc perdu, mais avant que de disserter sur des émotions approximatives, examinons les quelques sujets sérieux qui font le buzz en ce moment.

A l’instar de la première Intifada et comme dans une fin de règne annoncée, les roitelets en perdition se balancent mutuellement des pierres dans le jardin ne sachant plus comment faire pour stopper l’hécatombe et la déliquescence de la gent. Le crescendo des flétrissures révélées est tel que même les plus rompus aux politiques du complot ou de la déstabilisation peinent à dissimuler leur émoi, craignant que cet engouement pour la chute leur soit également fatal.

L’hiver 2013/2014 ne fût pas assez glacial pour que la classe politique aux manettes se vautre en glissades sémantiques ou se répande en commentaires aussi gauches qu’elle ne l’est plus. Qui plus est, il apparaît que ce pouvoir en place contribue très activement à l’appauvrissement du paysage sarcastique au point que la question se pose de savoir si la muse des humoristes n’en deviendrait pas de ce fait moins féconde. La débandade républicaine ayant renoncé, pour les raisons que l’on sait, à la loi sur la PMA/GPA, nous sommes condamnés, hélas, pour préserver l’espèce gouailleuse en voie de disparition, de la contraindre à l’hermaphrodisme. Dans l’attente du subtil amuseur à la saillie irréprochable, nous assistons étonnés à l’avènement de l’antéchrist Dieudonné qui semble subjuguer les foules en rivalisant de médiocrité avec ses pourfendeurs. Face à la consécration étatique du moins-disant culturel, nous nous réjouissons d’entendre encore les lazzi de François Morel ou les quolibets débridés de Didier Porte : Stéphane Guillon ayant été relégué aux oubliettes par notre Philippe Val national fasciné lui aussi par le chant des sirènes et les arcanes du pouvoir, après avoir passé deux décennies à vomir sur lui. Bon ! C’est comme ça mais faut-il pour autant que cela le demeure ? Pour l’heure, cet intermède d’indigence sémantique et de préséance cimenteuse si menteuse nous ferait presque regretter le Sarkoshow ou les bourdes inhérentes à Nadine Morano et autres consœurs :

"Il faut savoir qu’on a une recrudescence d’une nouvelle violence qui est, par exemple, le vol des portables à l’arraché, ça n’existait pas avant que les portables n’existent…"

Donc en ces temps où l’enculade rivalise avec la reculade, nous n’avons entendu dans les médias que l’écho d’une France rebelle qui, indignée, a manifesté son désespoir de vivre et invectivé le gouvernement en clamant ici ou là des « ça suffit,Trop, c’est trop » au sujet d’inondations ravageuses dont on sait trop bien qu’elles sont le résultat de la politique désastreuse menée par le pouvoir déchu. C’est un classique, même quand il pleut c’est la faute du gouvernement précédent. Malgré cela et bien que les éléments ne se soient pas outrageusement déchaînés sur l’ambulance, la république n’a pu endiguer les débordements qui affluèrent sur sa droite extrême.

-Pas d’épidémie de grippe H1N1 en vue et donc pas besoin d’appeler Bachelot pour revendre nos 94 millions de vaccins au Qatar, pays qui ne connaît quasiment pas la grippe (3 cas en 2009)

-Fi des hashtags de post du type #NoraBerration pour relever la bourde hivernale de 2012 où, pour simplifier, Nora Berra alors secrétaire d’état à la santé recommandait aux SDF de rester chez eux pendant la vague de froid. On s’en fout puisque les statistiques nous rassurent sur nos états d’âme humanitaires : les SDF meurent en même quantité en hiver qu’en été.

-Pas de nouvelle révolte en Tunisie mais plutôt une constitution et donc MAM, Frédéric Mitterrand ou Eric Raoult sont restés au coin du feu en attendant que la poudre parle. Cet aréopage de fin de règne n’a pas d’amis en Ukraine, alors ça simplifie.

Aussi ce furent les questions de société qui eurent voix au chapitre et la droite identitaire une fois de plus monta sur les barricades pour moraliser la jeunesse. Les débats s’emmêlèrent les pinceaux dans un tourbillon digne d’une mascarade mais qui au final laissa dans la société des relents d’amertume et d’insatisfaction. A l’épreuve du feu, le peuple français découvrait abasourdi une Barjot effarouchée et une Boutin enflammée, deux spécimens français de souche en voie d’extinction. La seconde, qui fut gratifiée de moins de 1% des voix aux élections présidentielles, se vit propulsée en tête du grondement social grâce aux homosexuels. Ajoutez à cela les quelques frénétiques ensoutanés agitant les épouvantails de la théorie du genre ou professant par la pédagogie de la peur, et vous obtenez le cocktail idéal pour parfaire la stratégie de l’extrême droite. Personne ne saura finalement ce qu’aurait pu être cette théorie du genre, mais pour se rassurer sur ces incertitudes la France votera pour les raclures réactionnaires. Et la gauche décapitée affirmera une nouvelle fois avoir tiré les leçons du scrutin des municipales et des européennes. Et patati, et patata…

Dans un registre tout aussi consternant et pour couronner le débat de société, le média inféodé au microcosme des célébrités a beaucoup zoomé sur le cas du couple présidentiel dont tout le monde se fout ou presque, au point d’occulter les chiffres du chômage qui continuent de gonfler comme une baudruche mais en slow motion, nous affirme t-on. C’est ainsi qu’en période de Noël, notre Sapin de ministre utilisant toute la rhétorique dévolue à son rang ne put rien faire d’autre que d’annoncer une baisse de la montée. Le charme sulfureux des bilans de fin d’année est d’entretenir avec brio l’axiome, qui nécessite tout de même quelques contorsions, mais auquel tous les pouvoirs se soumettent :

« Passer sous silence, n’est pas mensonge »

T. Bernhard.

Dès le 8 juillet 2013 pourtant, dans une indifférence abyssale confinée au mutisme, le très officiel CNLE informait le nouveau gouvernement de la situation de pauvreté dans laquelle se trouvaient environ 3 millions d’enfants. Ils étaient 1 million en 2003. Même si seulement 6% d’entre eux n’ont accès qu’à un ou deux repas par jour, la pauvreté n’est pas seulement synonyme de faim. Elle gangrène l’hygiène de vie et devient un facteur d’exclusion. Elle fragilise l’enfant face à l’adulte et le propulse pour la vie dans la spirale du malheur. De manière étonnante et broyés au milieu d’un magma de pauvres avoisinant les 10 millions, 96% des 22495 enfants pauvres interrogés par L’UNICEF France affirment pourtant connaître leurs droits. Les vœux du président pour 2014 n’ont pas annoncé un changement de cette situation. Ils conserveront donc leurs droits.

Dans l’œil faussement serein de ce marasme social tourbillonnant, les aboyeurs publics tissent des écrans de fumée en nous laissant croire que la stratégie du gouvernement est figée, brouillonne et faite de démissions successives. Mais le fil conducteur n’est qu’une ficelle sans équivoque qui nous annonce l’ampleur du désastre. Hormis les quelques atermoiements sur les sujets de société qui auraient permis de faire un pas en avant dans l’acceptation des différences, l’essentiel des manœuvres s’articule autour du budget et des engagements économiques. L’inflexion de la politique gouvernementale annoncée au cours des vœux du président est le fil d’Ariane qu’il suffit de suivre comme un petit poucet.

-Acte I : Tout d’abord le président décrète l’allègement des charges des entreprises. A l’initiative d’un gouvernement de gauche et pour la première fois depuis 1932, date de l’inscription de la loi dans le code du travail, le patronat ne financera plus les allocations familiales. Dans l’emballement, les médias relayant l’information en chœur oublient de commenter la petite phrase suivante qui annonce simultanément la réduction des dépenses sociales.

-Acte II : Fleur au fusil l’avion Bling-Bling bourré de patrons et enfin reconnu par ses pairs, Flanby® fonce aux States en prenant le soin de ne plus prononcer le mot socialiste et d’accorder l’orchestre ministériel sur le mot « social démocrate ». Et en l’occurrence, c’est bien aujourd’hui parce que le socialisme s’est travesti en social démocratie et qu’il a fait allégeance au marché, en lui donnant des gages financiers insoupçonnables mais surtout irréalisables sauf au prix de sacrifices humains, qu’il est reçu en grandes pompes aux States. Il emmène dans la soute le patron des patrons, le bossu Gattaz représentant des jeunes entrepreneurs. Je ne sais pas si vous avez remarqué mais dans la famille Gattaz, l’impression dominante est qu’ils sont tous vieux avec des coups de pigeons. Ce qu’ils ont fait avant d’être vieux ça personne ne le sait, mais cela permet assurément au sein de la famille de résoudre les conflits de génération.

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A quand des pigeonniers contraceptifs en politique ?

-Acte III : Pendant que Poutine parade sous les hourrah des milliers de militaires qui arpentent les rues de Solchi en attendant de recevoir les ordres de cogner après le départ de la presse internationale, la cour des comptes patronnée par le social démocrate Didier Migaud sonne l’alarme du déficit budgétaire. Ce « père la rigueur » qu’il soit à la commission des finances ou à la cour des comptes affiche un discours intarissable sur l’austérité. Il faut dire que ses grands amis sont Pascal Lamy ex-patron de l’OMC dont on connaît l’addiction pour les délocalisations et leurs ravages sur l’emploi, Jérôme Cahuzac chantre de l’austérité appliquée mais aux autres et DSK grand zélateur du libre-échangisme libre-échange. Tout ce petit monde, bien qu’à l’initiative de la création de clubs de réflexion ou de laboratoires d’idées à gauche, ne s’éloigne jamais de leurs amis des confréries franc-maçonnes. Le baragouinage est toujours le même à l’image de l’inefficacité de la méthode : Réduire les dépenses sociales de masse que sont les retraites, les indemnités chômage, la sécurité sociale et les avantages sociaux. En jargon psychiatrique on appelle ça un T.O.C.. Et pour tester la capacité de résistance de la volaille à plumer, on s’attaque d’abord aux bastions traditionnels, telle la SNCF. Notre nigaud de Migaud qui se défend de faire de la politique vient donc pérorer régulièrement devant des parterres de journalistes aphones jetant en pâture des privilégiés qu’ils se gardent bien de nommer laissant ainsi libre cours à l’imagination très souvent assez prosaïque dans ce domaine. En annonçant des chiffres astronomiques comme pour 150 000 cheminots la SNCF offrirait le transport gratuit à 1 million de bénéficiaires, il laisse la place à tous les fantasmes populistes et repart dans son fief de Grenoble en TGV 1ère classe sans débourser 1 centime. C’est beau, c’est grand et c’est digne d’un homme de gauche.


A contrario, le printemps 2014 s’annonce tout en profondeur et en subtilité apprécié à l’aune du discours lénifiant de la clique au gouvernement. Nous l’avons constaté, les « spin doctors » de Flanby® ayant considéré la situation préoccupante de la dégringHollande ont édulcoré tous les discours en occultant le patronyme « socialiste » désormais haï de tous. Et tous furent priés de reprendre en chœur les mots-clés du microcosme : Social-démocratie, rassemblement à gauche, … L’affaire est donc entendue, et quand bien même pour opérer le grand virage à gauche il n’y aurait eu qu’un Rubicon à franchir, ce dernier ne le sera pas de sitôt.

« Alea Jacta est ! »

Donc, dans le dictionnaire du contorsionnisme politique, le mot « Socialiste » est enfin libre et prêt à servir le repli national qui s’amorce autour de l’extrême droite déjà bien décidée à vampiriser les masses laborieuses et sa cohorte de mécontents à grand renfort d’illusions. En sorte que la dissipation de l’épais nuage des cendres socialistes qui entoure la nébuleuse dissidente réduite au silence ouvrira un corridor royal au vote réfractaire certes, mais racrapoté sur des pulsions identitaires. En résumé, la partition politique est bien en rythme : d’un côté nous avons les socialistes qui dans un ultime autodafé s’échinent à se désocialiser et de l’autre le front national qui par les voies juridiques et médiatiques réussit sa parfaite dédiabolisation. Si avec ça les français se croient encore les rois de la révolution en terre des droits de l’Homme et du citoyen, qu’ils regardent le monde changer autour d’eux et surtout qu’ils apprennent la manière de se débarrasser d’un régime fasciste qui sera bientôt leur lot quotidien.

Ces constats pourraient nous rendre tristes si la France ne comptait pas sa ribambelle d’agités du crucifix. Leur spectacle permanent vise à nous faire croire qu’ils préfèrent s’épancher en qualité d’émissaires du culte plutôt que s’étancher dans l’hémisphère du cul, mais le simulacre laisse songeur lorsque le panache intemporel tombe et cède la place à une inclinaison sans retenue vers le galbe des enfants du bon dieu. Tiens, prenez mon concierge. Il est fervent catholique divorcé deux fois, quelques rejetons au tableau de chasse et adhère aux thèses du front national. A Noël, il a fourré la jeune dinde du 6ème étage, quelques-uns l’ont vu ressortir tout défait au petit matin. Pour l’épiphanie, il a tiré le roi au rez-de-chaussée avec quelques voisins et pour Pâques, il envisage de les inviter à une dégustation de ses œufs faits maison. Boutin, toujours elle, est mariée avec son cousin en dépit des interdictions du Vatican et fait un tabac en dénonçant la mainmise des homosexuels dans le paysage audiovisuel, alors que deux de ses plus proches collaborateurs sont des cousines patentées.

Avouez que si le monde n’était peuplé que de juifs et de musulmans, on ne s’amuserait pas autant !

A propos des juifs justement, et en cette époque radieuse où l’antisémitisme a pignon sur rue, l’incongru ne peut pas faire l’économie de sa participation à la controverse. Pour créer le buzz en marge de la tragédie qui se joue en Live dans les coulisses de la société, il y a évidemment l’appâteur épatant prêt à satisfaire aux plus profondes haines résidant dans le tréfonds de notre cerveau reptilien pour assouvir ses ambitions ; nous ne le présentons plus « Dieudonné M’bala M’bala ».

En effet, chacun connait l’image du juif véhiculée dans nos sociétés occidentales et pourquoi une partie de la population serait prête à revivre l’histoire de la Shoah sans moufeter. Pour Dieudonné, c’était simple, il lui suffisait de quelques allusions bien choisies et le tour était joué car les préjugés sont tenaces :

Le juif aime l’argent, il convoite, s’enrichit, s’approprie des biens et vit en communauté avec ses coreligionnaires.

Enfin, vous voyez bien, il est vraiment différent de la majorité des humains, non ? Le juif joue pour gagner beaucoup d’argent alors que le musulman ou le catholique jouent pour perdre c’est bien connu. Si en plus comme M’bala M’bala, vous défendez la veuve et l’orphelin nul besoin alors de crypter les messages. Mais les plaisanteries et les allusions sur les juifs ça s’épuise, et on finit par raccorder d’autres minorités au convoi, ce qui multiplie la profondeur du puits sans fond de l’humour, tant qu’il s’agit d’humour. Chez Dieudonné, il y a longtemps que ce dernier a pris la poudre d’escampette et la conjugaison de certains phénomènes a fait déraper notre petit gros : Tout d’abord, la part d’addiction à la plaisanterie décapante, qui à force de répétition envahit l’univers du clown et rassemble autour de lui des personnages qui l’encouragent, l’admirent voire lui ressemblent.

La communauté

C’est un peu comme la prière, à force de marmonner des orémus, on finit par entendre des voix - En technique de communication, on appelle cela « Le bruit de fond » - et l’on se complaît très vite dans l’étoffe du missionnaire qui germe en soi. Ensuite, la situation politique et sociale se prête au jeu. C’est un classique, un pays gangréné par la pauvreté et les affaires cherche ses coupables dans des communautés minoritaires ou marginalisées. On pourrait ainsi résumer que Dieudonné comme Le Pen surfent sur une vague de stéréotypes surannés, qu’ils n’ont pas contribué à créer certes mais dont ils cherchent à rallumer les braises. Puis, vient le public acquis progressivement à la cause et qui attend la faute avec impatience et la savoure avec ferveur et délectation. Et finalement, on découvre le vrai visage du stentor au fond de boîtes à gâteaux. 650 000 euros dénichés lors d’une perquisition et qui révèlent le stratagème du personnage, son impressionnante cupidité et une excellente capacité dans l’art de renifler les tendances du moment.

La trahison

Eh oui, le traître aime l’argent, il convoite, s’enrichit, s’approprie des biens qu’il dissimule et vit en communauté avec des identitaires.

C’est vrai que dans le registre de l’humour décadent, s’attaquer aux arabo-musulmans lui aurait fait prendre le risque de subir une Fatwa ou de se faire casser la gueule à tous les coins de rue. Alors, entre l’argent et une intégrité physique en mille morceaux, le choix est vite fait. Dieudonné son obsession c’est les juifs, mais il en a d’autres comme Soral ou Chatillon. Pour surenchérir sur la Boutin, Dieudonné trouve qu’il y a trop d’homosexuels tout court. Chacun sa tête de turc mais qu’ils se rassurent, le moment venu Marine ne fera pas dans le détail et les regroupera en un seul convoi. Pour conclure, l’incongru dira que Dieudonné est arrivé un peu trop tôt et avec un peu trop de certitudes. La subtilité qui lui fait défaut n’a pas permis de maintenir très longtemps l’ambiguïté de son discours au niveau de l’humour. Ses premiers clins d’œil complices au public sur la pesanteur des chroniques sur la Shoah se sont vite transformés en boulevard de la haine. Mais l’extrême droite a bien noté sa bonne volonté et saura faire appel à ses services quand elle sera aux commandes de la machine infernale. Le hiatus de l’énigme Dieudonné est qu’il n’est ni bellâtre, ni ethniquement pur et que son public est essentiellement constitué d’arabo-musulmans ou de pro-palestiniens à la petite semaine. Mais l’incongru reste confiant, même avec un tel fardeau les futures mairies d’extrême droite lui ouvriront grandes les portes de leur salle de spectacles.

Rassurez-vous donc, les petits, les obscurs, les sans-grades, vous qui marchez fourbus, blessés, crottés ou malades mais sans espoir de duchés, ni de dotation, dans le rejet ou l’intolérance il subsiste une graduation comme dans les camps nazis. Chacun aura l’étoile à la hauteur de son forfait certes, mais prenez garde car les totalitarismes assoient toujours leur pouvoir sur la soumission et la souffrance du plus grand nombre. Le phénomène paradoxal en la matière est que chaque fois qu’il fût donné à l’Homme l’occasion de briser ses chaines, comme frappé par le syndrome de Stockholm, il rappela le pervers narcissique au chevet de son émancipation agonisante.

Et tout porte à croire que l’escalade de la haine est inscrite dans notre patrimoine génétique. Des plus grands massacres perpétrés par la dynastie des Khan, qui en quelques jours exterminaient plusieurs centaines de milliers d’êtres humains, en passant par les 400 ans de tortures et de bûchers des inquisitions chrétiennes, les exterminations de masse minutieusement orchestrées par les nazis semblèrent figurer dans une logique de continuité poussée à son paroxysme. Certes, la logistique initiée par l’Allemagne et ses alliés fut une découverte qui effraya l’humanité. Faut-il le rappeler, les usines de la mort étaient associées à un édifice d’étapes intermédiaires toutes aussi monstrueuses. Dans les camps de concentration, plusieurs milliers d’êtres humains furent soumis à l’esclavage, à la torture, aux viols, à la vivisection, aux expérimentations médicales les plus folles chères au Dr Mengele, laissant des corps à l’agonie pendant des jours dans les charniers alentour. Dans les camps d’extermination, tout était scrupuleusement minuté. Les captures étaient envoyées dans les chambres à gaz avec savonnettes et serviettes afin de lever tout soupçon. Les locaux étaient équipés de pommeaux de douche fictifs. Puis les cadavres étaient minutieusement découpés par des bouchers avant d’être jetés au four. Les enfants en bas âge étaient eux enfournés vivants.

Plus récemment, les témoignages qui nous parviennent sur la barbarie exercée par quelques dictateurs sur les populations civiles de leur pays et sur le laisser-faire de leurs voisins donnent à penser que tout n’est pas encore accompli.

« Il n’y a pas d’ambiguïté, nous rassure Robert ANTELME, nous restons des hommes, nous ne finirons qu’en hommes. C’est parce que nous sommes des hommes comme eux que les S.S. seront en définitive impuissants devant nous. »

Mais qui de Maurice Faure ou de Konrad Adenauer aurait imaginé en signant le Traité de Rome le 25 mars 1957, qu’environ un demi-siècle plus tard des citoyens ukrainiens feraient offrande de leur vie pour y adhérer ? Et dans la prestigieuse salle des Horaces et des Curiaces du Capitole où se tournait une nouvelle page de l’histoire, qui aurait pu croire que dans cette Europe enfin pacifiée, l’armée au service d’un dictateur ferait feu sur ce peuple pour l’y en dissuader ? Pourtant au cœur même de cet espoir de liberté, un petit groupe humain appelle la force à sa rescousse. Les chars russes, vieille symbolique d’un passé qu’on croyait révolu, sont entrés en Crimée à la demande de quelques nostalgiques pro-russes donnant enfin raison au stratège qu’est Depardieu, déclamant un jour de cuite à la vodka : « Poutine n’est pas un tortionnaire, ce sont les journalistes qui en font un stalinien »

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L’Ukraine qu’ils craignent, celle qui se familiarise avec la guerre moderne

Sommes-nous donc devenus si insensibles pour accepter encore et toujours les outrages que subit l’humanité ? Serions-nous tous sous anti-inflammatoires que plus rien ne puisse nous faire réagir ? Au rythme où prolifèrent le mensonge et la tromperie, notre sensibilité sociale devrait nous conduire chaque jour à manifester en masse en demandant la démission des protagonistes et des usurpateurs. Au lieu de cela, nous croupissons devant des écrans constatant impuissants la déliquescence des élites et la montée d’un vote protestataire pour de nouvelles élites déjà toutes aussi corrompues. Pourtant, il m’avait semblé entendre que la France était traditionnellement le pays où se déroulait le plus de manifestations. Dans le même temps, nous sommes également devenus le pays où il y a le moins de grèves et cet argument sert d’ailleurs au pouvoir socialiste pour reconquérir les entreprises expatriées. Qui aurait pu croire qu’il déposerait les armes du socialisme au profit d’un mercantilisme outrancier sans rapport aucun avec ses actes fondateurs ? De la même façon, qui aurait pu prévoir qu’en 2014, une gauche avachie renoncerait au progrès social à cause d’un défilé de 100 000 intégristes rétrogrades entre la rue Monsieur Le Prince et l’hôtel du Prince de Condé ? Une procession de malades mentaux obsédés par la pureté et la protection de la vie des fœtus mais arborant sans complexe son addiction à la peine de mort. Le vote quand bien même deviendrait-il protestataire n’a plus aucune influence sur les décisions politiques. Sitôt élus, les candidats se rétractent et oublient ceux qui les ont portés au pouvoir. La rue est notre seule issue. C’est le seul endroit sans porte à ouvrir, il nous faudrait la reconquérir.

Au lieu de cela notre quotidien de luttes se résume à fustiger le patron qui peste contre le tout état, qui taxe le travailleur qui montre du doigt le chômeur qui accuse l’immigré qui s’en prend au juif qui méprise le Rom, mais tout en bas, vraiment en dessous de tout, heureusement il y a le noir, tapi et tapis sur lequel tout le monde finit par s’essuyer. Dans la rue aussi la guerre fait rage, la voiture électrique contre la bagnole à essence qui détrône le 4x4 diesel qui se gare sur la piste cyclable d’où surgissent les petites reines déferlant à vive allure sur les piétons. Dans le grand ballet des séductions de circonstance, on reproduit aussi ce type de hiérarchie même si c’est l’élitisme sexuel masculin qui domine. En Europe la femme libérée est une salope et en Tunisie la femme soumise devient complémentaire de l’homme. En Arabie Saoudite ou au Qatar, les femmes se déguisent en hommes pour sortir dans la rue ou conduire une automobile. En Syrie, la jeune fille violée par les miliciens de Bachar El Assad meurt de honte quand elle n’est pas purement et simplement assassinée par ses frères pour sauver l’honneur de la famille. En Occident, l’origine du fantasme qui fit de l’africain l’archétype de l’étalon noir chevauchant les talons hauts demeure un mystère et la mixité ethnique reste encore en travers de la gorge d’un bon nombre de citoyens. Seule la métropole offre le dernier refuge à celle ou à celui qui veut s’épanouir. Alors après le jour de colère, exigeons le jour de « cool air ». Foutez nous la paix, curés, évangélistes et paroissiens de tout poil et restez dans vos chapelles ardentes, vos églises de contrition, vos temples purificateurs, vos synagogues aux jours redoutables ou vos mosquées à fatwa ! Et que les amoureux de la vie face aux missionnaires en position, aux culs tournés vers la Mecque et aux fronts se prosternant sur le mur, opposent la position du missionnaire bien plus prometteuse de sensations fortes. La pudibonderie n’a de limites que celles qu’on lui fixe.

Après tout ce laïus, si vous n’avez pas saisi la relation avec le livre d’Eddy Bellegueule, alors je crains qu’il vous faille renoncer à quelque chose.

En tout état de cause, le maniement de la sermonication n’est pas aisé mais autorise l’auteur à une liberté d’expression qui le met à l’abri de directives qui souhaiteraient la lui restreindre. L’incongru tenait donc à faire cette mise au point sur l’homosexualité, puisque c’est un sujet qui visiblement intéresse quantité d’honnêtes gens. Celle-ci ne connaît pas davantage d’épanouissement ou de supériorité subliminale que toute autre forme de sexualité mais elle possède ceci de particulier, c’est que le désir autant que l’amour dans cette configuration sexuelle sont tenus d’évoluer dans le labyrinthe des tolérances et de composer avec l’intolérance de ceux-la mêmes qui ne sont pas concernés par le sujet. La manifestation des tiraillements que provoque chez certains le désir d’un semblable de même sexe relève de l’ethnologie. Car il y a évidemment imprimé chez beaucoup de nos congénères ce rejet des différences par rapport à une norme majoritaire établie soit par défaut, soit de manière autoritaire comme on a pu le voir récemment encore en Russie ou en Ouganda. Le combat que chacun doit alors mener pour éradiquer l’intolérance est permanent, y compris au sein même de ses propres comportements, fussent-ils emprunts des meilleures intentions. Ainsi, la terreur dans laquelle croupissent ces êtres vivant leur amour dans la clandestinité en est souvent la conséquence et la démonstration. Terreur des proches qui même manifestant une relative tolérance vis à vis de l’inédit, ne voient pas d’un très bon œil la caractérisation marginale de l’un des leurs. Terreur des organisations sociales, politiques et religieuses qui voient cette singularité d’un mauvais œil et imaginent comme pour toute autre minorité qu’il suffit de la contrainte pour éradiquer le phénomène, dissuader et enfin soigner. Le sort des différences est scellé dans un inavouable soi-même que l’on rejette en brisant le miroir qu’est l’autre devenu lorsque le plus puissant dicte les règles. L’altérite s’arrête là où commence la communauté, la ghettoïsation pour utiliser un néologisme plus cruel. Ne voit-on pas souvent reproché aux couples homosexuels de ne pas s’annoncer comme tels ? Comme si pour entrer dans la ronde sociale, il fallait faire état de ses attirances et pour satisfaire aux fantasmes inavoués narrer toutes ses étreintes et faire étalage de la moindre rigidité provoquée par la promesse de l’extase le temps d’un spasme sidéral. La démarche de raison devrait faire dire à chacun : les pratiques sexuelles de l’autre ne m’intéressent que si j’ai une attirance pour lui ou que si elles nuisent à autrui et n’obéissent pas au concept du consentement mutuel éclairé. Le reste, je m’en fous !

« Il vient une heure où protester ne suffit plus : après la philosophie, il faut l’action »

V.Hugo.


Nous écrire pour nous insulter

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« J’écris dans un pays dévasté par la peste »
 
J’écris dans un pays dévasté par la peste
Qui semble un cauchemar attardé de Goya
Où les chiens n’ont d’espoir que la manne céleste
Et des squelettes blancs cultivent le soya
 
Un pays en tous sens parcouru d’escogriffes
À coups de fouet chassant le bétail devant eux
Un pays disputé par l’ongle et par la griffe
Sous le ciel sans pitié des jours calamiteux
 
Un pays pantelant sous le pied des fantoches
Labouré jusqu’au cœur par l’ornière des roues
Mis en coupe réglée au nom du Roi Pétoche
Un pays de frayeur en proie aux loups-garous
 
J’écris dans ce pays où l’on parque les hommes
Dans l’ordure et la soif le silence et la faim
Où la mère se voit arracher son fils comme
Si Hérode régnait quand Laval est dauphin
 
J’écris dans ce pays que le sang défigure
Qui n’est plus qu’un monceau de douleurs et de plaies
Une halle à tous vents que la grêle inaugure
Une ruine où la mort s’exerce aux osselets
 
J’écris dans ce pays tandis que la police
À toute heure de nuit entre dans les maisons
Que les inquisiteurs enfonçant leurs éclisses
Dans les membres brisés guettent les trahisons
 
J’écris dans ce pays qui souffre mille morts
Qui montre à tous les yeux ses blessures pourprées
Et la meute sur lui grouillante qui le mord
Et les valets sonnant dans le cor la curée
 
J’écris dans ce pays que les bouchers écorchent
Et dont je vois les nerfs les entrailles les os
Et dont je vois les bois brûler comme des torches
Et sur les blés en feu la fuite des oiseaux
 
J’écris dans cette nuit profonde et criminelle
Où j’entends respirer les soldats étrangers
Et les trains s’étrangler au loin dans les tunnels
Dont Dieu sait si jamais ils pourront déplonger
 
J’écris dans un champ clos où des deux adversaires
L’un semble d’une pièce armure et palefroi
Et l’autre que l’épée atrocement lacère
À lui pour tout arroi sa bravoure et son droit
 
J’écris dans cette fosse où non plus un prophète
Mais un peuple est parmi les bêtes descendu
Qu’on somme de ne plus oublier sa défaite
Et de livrer aux ours la chair qui leur est due
 
J’écris dans ce décor tragique où des acteurs
Ont perdu leur chemin leur sommeil et leur rang
Dans ce théâtre vide où les usurpateurs
Ânonnent de grands mots pour les seuls ignorants
 
J’écris dans la chiourme énorme qui murmure
J’écris dans l’oubliette au soir qui retentit
Des messages frappés du poing contre les murs
Infligeant aux geôliers d’étranges démentis
 
Comment voudriez-vous que je parle des fleurs
Et qu’il n’y ait des cris dans tout ce que j’écris
De l’arc-en-ciel ancien je n’ai que trois couleurs
Et les airs que j’aimais vous les avez proscrits
 
Louis Aragon, Le Musée Grévin, VII, vers 1 à 56, 1943

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