
Au cours de son précédent séjour en Lusophonie, l’incongru découvrit le large spectre de la pensée philosophique et sociale de Michel ONFRAY, ainsi que sa philologie freudienne incapacitante qui lui vaut encore et toujours la notoriété de déterreur d’idolâtrie. L’activité professionnelle, si confortable et aménagée soit-elle, ne laisse que peu de place à la divagation des esprits et à la jouissance intemporelle. Ainsi, de Michel Onfray l’incongru n’avait pas encore lu « La politique du rebelle » et la querelle d’allemand qui s’ensuivit.

- La querelle d’allemand

- La mort de l’homme
De Michel Foucault et de la mort de l’Homme, de Gracián et de l’Homme universel il n’en avait cure, mais il écrivait déjà sa diatribe qui verrait paraitre sous peu « Ecce Homo Subtilis » et depuis fort longtemps il savait que ce monde, qui l’avait fait naître, n’était pas celui désiré. Nonobstant l’héritage culturel des peuples, la vie de l’être humain est hantée par une perversité maladive truffée de règles d’or chargées de maquiller les complots sordides et le cynisme qui les accompagne. Il devrait être universellement permis de tout dire et de tout se dire. Mais le paradoxe est dans le verbe : car qui dit permission dit autorisation et autorité permissive ou liberticide. Alors comment supprimer l’action dans la permission et l’acte d’autorisation. L’idée, voire le concept, serait de concevoir l’ensemble des relations accordé au consentement mutuel éclairé. Je fais non parce qu’une autorité, si démocratique soit-elle, m’a autorisé à le faire, mais parce que l’un et l’autre ou les uns et les autres sommes d’accord et informés de ce qu’il va se passer. Ce concept n’est certes pas la panacée, mais vaut bond en avant darwinien dans une société où le mensonge est prégnant et dans laquelle nous tourbillonnons depuis plus de 2000 ans en révolution sans espoir d’évolution.
Evidemment, la question n’est pas de rayer Tendre de la carte ou d’éradiquer le vol nuptial au bénéfice d’un relationnel purement prosaïque, mais de ne pas surprendre l’autre au moyen de la fourberie. Car à trop vouloir définir avec précision la qualité des rapports humains ferait prendre le risque de s’empêtrer dans un dédale de recommandations ou de principes plus insupportables les uns que les autres. Nous en avons déjà vécu la triste expérience. Vouloir ne pas obérer la fascination par l’absence d’exaltation, ni l’exaltation par l’excès de fascination, relève d’un chemin homérique et le souci de ne pas déplaire à l’instar de celui de plaire devrait donc guider nos choix sans équivoque.

Vous le constatez vous-mêmes, l’incongru écrit beaucoup d’âneries et heureusement pour la santé mentale de ses nombreux lecteurs, il en jette la quasi totalité. Mais apparemment, ce ne fut pas le cas de Guy Debord dont le succès est grandissant depuis qu’il a cessé de nuire au grand capital. Cette année, selon ses recommandations et en l’absence de besogne éreintante, l’incongru a rencontré le temps et l’immense sensation de bien-être qui lui est associée lorsqu’il vous appartient. Ici il n’est pas pressé de passer. Il aime à musarder, alors l’adhésion aux rythmes du moment vous plonge à corps perdu dans la nonchalance. Il en va ainsi de l’immersion dans une langue étrangère sur une île chahutée par un océan sans ardeur, ce qui n’encourage guère l’assiduité de l’élève. Qui plus est si le professeur n’a d’yeux que pour vous, cela risque de prendre du temps. Il y a bien quelques moustiques qui suscitent ici ou là de brusques mouvements, mais c’est sans compter sur le premier coup de vent qui les emporte avec la marée. De retour sur cette terre d’exil, car il fallait bien un jour renouer des liens avec dame nature, elle qui sait si bien pardonner notre fuite en avant et notre mégalomanie en rétablissant les équilibres, et réapprendre le goût des choses, les couleurs, les bruits, les odeurs, après avoir séjourné tant d’années dans les entrailles de la bête humaine, n’est pas chose aisée.
Et pour ceux qui auront la lucidité de lire Debord jusqu’à la lie, une anecdote empreinte d’optimisme et annonçant l’emballement du système… Aujourd’hui, j’ai pris le train portugais accompagné de ma petite reine, vous savez ces trains côtiers qui s’arrêtent partout et permettent à tous de découvrir de nouvelles îles, de courir de nouveaux bonheurs dans le pré où l’herbe est fraîche et bien plus verte que dans le hameau natal. Après avoir lu « la société du spectacle », j’y ai vu l’incarnation d’une société en perdition canalisée dans les mêmes errements. Habituellement le contrôleur est seul et s’adresse aux voyageurs avec un bonjour appuyé. Cette fois, tension oblige, ils sont cinq, dont un chef plus grand que les autres et en costard, et c’est l’opération « coup de poing » censée mater le jeune fraudeur avant l’été de toutes les dérives. Alors pas de « Bom dia », ni de « Boa tarde » mais des regards suspicieux. Premier adolescent l’air engoncé dans sa banquette, sans argent et sans papiers. Trois gros l’encerclent, impossible de fuir. Le grand con appelle et prononce les mots clés « PSP » « Olhão », c’est tout. Descente à la gare suivante, quatre flics PSP en rang d’oignons prêts à cueillir le délinquant. A Olhão, montent un autre jeune et sa copine enceinte. Sitôt montés, les cinq contrôleurs se précipitent sur l’objet du délit. Pas de tickets, vos papiers… Se reprenant et voyant la trouille de ses ennemis, l’ado reprend sa carte en prétextant qu’il va à l’hôpital avec sa copine et qu’il n’a pas d’argent. Le ton monte et les controladores se tirent dans le compartiment bagages, honteux. Enfin tranquilles, mais sans réaction, les passagers terminent leur voyage en paix. Situation ubuesque ou kafkaïenne, on voit ici toute la pertinence et les limites de cette civilisation modèle et celui qui ne comprend pas la pensée de Debord doit rapidement investir dans une Rolex.
"Jacques Séguéla est-il un con ? De deux choses l’une : ou bien Jacques Séguéla est un con, et ça m’étonnerait quand même un peu ; ou bien Jacques Séguéla n’est pas un con, et ça m’étonnerait quand même beaucoup !"
Pierre Desproges 1982 déjà…
Mais restons sereins, nous touchons du doigt l’avenir radieux.

- L’avenir radieux à portée de main
La France fait honneur à ce dicton né avec la terre : « Les chiens ne font pas des chats » Il y a eu des élections dans la circonscription de Cahuzac, toujours lui ! C’est le front national qui, dans un rituel immuable, a ouvert le bal des longs couteaux avec à sa tête un dénommé BOUSQUET, issu de la bonne vieille Algérie française et dont la famille fréquentait certainement à l’époque celle de Jean-Marie dont la villa Sésini était équipée de l’électricité à tous les étages. Alors, vous ne le voyez toujours pas l’avenir radieux ? Vous manquez vraiment de ferveur. Les muses seraient-elles donc épuisées ?
Non et heureusement chaque semaine, le Canard et Charlie confinent dans la bêtise l’expression de cette foultitude ringarde arc-boutée sur des modèles surannés. Il s’en passe de belles histoires en France, comme disent les portugays, qui essaient de comprendre où est le problème des français. Après Sarkozy et son empreinte indélébile façonnée à coup de haine sociale et de manœuvres douteuses, voici une nouvelle fois l’image de la patrie des droits de l’Homme écornée par les intégrismes. Les quelques tièdes frémissements progressistes, qui à la lueur d’un souci d’égalité laissaient entrevoir une société plus généreuse dans son rapport à l’autre, se voient compromis par la démission des uns et l’arrogance de quelques grenouilles de bénitier reçues en grandes pompes à l’Elysée. Pas étonnant ensuite de voir l’Oise en mars, puis le Lot et Garonne en juin s’effondrer dans les bras de la peste brune et sous le poids des bottes à clous. Moins surprenant encore, les décrets d’interdiction promulgués par les maires de certaines communes comme Saint-Cloud ou Versailles à l’encontre d’une œuvre cinématographique sous prétexte que deux hommes s’étreignent sans ambigüité.

- "Prolétaires du monde entier, touchez-vous"
Malgré les réformes sociales incontestables qu’on lui doit, la gauche au pouvoir rate toujours les opportunités qui lui sont offertes par le peuple. Pour l’incongru confronté à la pose insolente de la superbe endiablée, la soif d’ermitage et le désir de quiétude n’en sont que plus intenses. De même, lire ou relire Platon et Le Banquet si jouissif et déjà précurseur du mariage gay, devient urgent quand on apprend que l’année 2012 en France ne fut pas seulement marquée par la révélation que 87% des jeunes de la région PACA ne savent pas ce qu’est une betterave mais par une augmentation de plus de 30% des violences homophobes recensées. Dés lors le sentiment général de vivre dans un pays de libertés et de tolérance confère à la société un équilibre, on le voit, bien précaire.
« Toute forme de mépris, si elle intervient en politique, prépare ou instaure le fascisme »
L’Homme révolté (1951) Albert Camus

- La betterave fait le buzz
Demain, c’est déjà samedi et jour de grand marché et de petits paysans venus de la montagne offrir leur récolte aux citadins. Des oranges, des fraises ou des nèfles, des tomates ou des oignons, le tout enrubanné de terre rouge incrustée dans les moindres replis d’une peau qui semble avoir cuit au soleil. La vente rapporte peu, mais c’est pour eux la seule sortie de la semaine. Malgré le maigre revenu généré il y a toujours la tomate offerte au dessus du paquet, mais aucune rage, ni aucune haine dans un pays qui pourtant se retrouve quasi en ruine par la faute de quelques caciques par ailleurs toujours en activité. Les Andalous très proches ne sont pas mieux lotis. L’agonie de leurs services publics et l’exploitation intensive de la main d’œuvre étrangère se visitent comme un musée à la périphérie des villes. Des constructions de logements sociaux jamais achevées jouxtent des tours inutilement pointées vers le ciel et heureusement que le gaspacho est froid car tout le reste bouillonne.
Mais soyons un peu sérieux, après l’opacité du discours et les élucubrations sibyllines de l’incongru, voici enfin un texte écrit en 1967 qui va retenir votre souffle jusqu’à la dernière ligne, tant son réalisme est saisissant.
Le philosophe Giorgio Agamben écrivait à propos de Debord en 1990 : « L’aspect sans doute le plus inquiétant des livres de Debord tient à l’acharnement avec lequel l’histoire semble s’être appliquée à confirmer ses analyses. Non seulement, vingt ans après La Société du spectacle (1967), les Commentaires sur la société du spectacle (1988) ont pu enregistrer dans tous les domaines l’exactitude des diagnostics et des prévisions, mais entre-temps, le cours des évènements s’est accéléré partout si uniformément dans la même direction, qu’à deux ans à peine de la sortie du livre, il semble que la politique mondiale ne soit plus aujourd’hui qu’une mise en scène parodique du scénario que celui-ci contenait. L’unification substantielle du spectacle concentré (les démocraties populaires de l’Est) et du spectacle diffus (les démocraties occidentales) dans le spectacle intégré, qui constitue une des thèses centrales des Commentaires, que bon nombre ont trouvé à l’époque paradoxale, s’avère à présent d’une évidence triviale. Les murs inébranlables et les fers qui divisent les deux mondes furent brisés en quelques jours. Afin que le spectacle intégré puisse se réaliser pleinement également dans leur pays, les gouvernements de l’Est ont abandonné le parti léniniste, tout comme ceux de l’Ouest avaient renoncé depuis longtemps à l’équilibre des pouvoirs et à la liberté réelle de pensée et de communication, au nom de la machine électorale majoritaire et du contrôle médiatique de l’opinion (qui s’étaient tous deux développés dans les États totalitaires modernes). »
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LA SOCIETE DU SPECTACLE - Guy Debord (première parution : 1967)
I. La séparation achevée
« Et sans doute notre temps... préfère l’image à la chose, la copie à l’original, la représentation à la réalité, l’apparence à l’être... Ce qui est sacré pour lui, ce n’est que l’illusion, mais ce qui est profane, c’est la vérité. Mieux, le sacré grandit à ses yeux à mesure que décroît la vérité et que l’illusion croît, si bien que le comble de l’illusion est aussi pour lui le comble du sacré. » Feuerbach (Préface à la deuxième édition de L’Essence du christianisme)
II. La marchandise comme spectacle
« Car ce n’est que comme catégorie universelle de l’être social total que la marchandise peut être comprise dans son essence authentique. Ce n’est que dans ce contexte que la réification surgie du rapport marchand acquiert une signification décisive, tant pour l’évolution objective de la société que pour l’attitude des hommes à son égard, pour la soumission de leur conscience aux formes dans lesquelles cette réification s’exprime... Cette soumission s’accroît encore du fait que plus la rationalisation et la mécanisation du processus de travail augmentent, plus l’activité du travailleur perd son caractère d’activité pour devenir une attitude contemplative » Lukàcs (Histoire et conscience de classe)
III. Unité et division dans l’apparence
« Une nouvelle polémique animée se déroule dans le pays, sur le front de la philosophie, à propos des concepts "un se divise en deux" et "deux fusionnent en un". Ce débat est une lutte entre ceux qui sont pour et ceux qui contre la dialectique matérialiste, une lutte entre deux conceptions du monde : la conception prolétarienne et la conception bourgeoise. Ceux qui soutiennent que "un se divise en deux est la loi fondamentale des choses se tiennent du côté de la dialectique matérialiste : ceux qui soutiennent que la loi fondamentale des chose est que "deux fusionnent en un" sont contre la dialectique matérialiste. Les deux côtés ont tiré une nette ligne de démarcation entre eux et leurs arguments sont diamétralement opposés. Cette polémique reflète sur le plan idéologique la lutte de classe aiguë et complexe qui se déroule en Chine et dans le monde » Le Drapeau rouge de Pékin, 21 Septembre 1964.
IV. Le prolétariat comme sujet et comme représentation
« Le droit égal de tous aux biens et aux jouissances de ce monde, la destruction de toute autorité, la négation de tout frein moral, voilà, si l’on descend au fond des choses, la raison d’être de l’insurrection du 18 mars et la charte de la redoutable association qui lui a fourni une armée » Enquête parlementaire sur l’insurrection du 18 mars.
V. Temps et histoire
« O gentilshommes, la vie est courte... Si nous vivons, nous vivons pour marcher sur la tête des rois. » Shakespeare (Henry IV).
VI. Le temps spectaculaire « Nous n’avons rien à nous que le temps, dont jouissent ceux-mêmes qui n’ont point de demeure. » Balthasar Gracian (L’homme de cour).
VII. L’aménagement du territoire
« Et qui devient Seigneur d’une cité accoutumée à vivre libre et ne la détruit point, qu’il s’attende d’être détruit par elle, parce qu’elle a toujours pour refuge en ses rébellions le nom de la liberté et ses vieilles coutumes, lesquelles ni par la longueur du temps ni pour aucun bienfait ne s’oublieront jamais. Et pour chose qu’on y fasse ou qu’on y pourvoie, si ce n’est d’en chasser ou d’en disperser les habitants, ils n’oublieront point ce nom ni ces coutumes... » Machiavel (Le Prince).
VIII. La négation et la consommation dans la culture
« Nous vivrons assez pour voir une révolution politique ? Nous, les contemporains de ces Allemands ? Mon ami, vous croyez ce que vous désirez... Lorsque je juge l’Allemagne d’après son histoire présente, vous ne m’objecterez pas que toute son histoire est falsifiée et que toute sa vie publique actuelle ne représente pas l’état réel du peuple. Lisez les journaux que vous voudrez, convainquez-vous que l’on ne cesse pas - et vous me concéderez que la censure n’empêche personne de cesser - de célébrer la liberté et le bonheur national que nous possédons... » Ruge (Lettre à Marx, mars 1843).
IX. L’idéologie matérialisée
« La conscience de soi est en soi et pour soi quand et parce qu’elle est en soi et pour soi pour une autre conscience de soi ; c’est-à-dire qu’elle n’est qu’en tant qu’être reconnu. » Hegel (Phénoménologie de l’Esprit).
« Comme l’homme abattu regardant les rameaux pourris de sa plantation songe à l’abattage, lorsque le point de bascule sera atteint, il ne faudra pas alors être surpris d’entendre gronder les ténors de la sympathie universelle, dont les énergies cristallisées par tant de désenchantements entonneront des chants bien plus détonants. »
« Furor arma ministrat » Virgile

- Guy Debord Texte intégral
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